Le Rôdeur : une anecdote de peur

Dans ma mentalité d’adolescent d’autrefois, ce fut une longue histoire, dont j’en ai oubliée les origines, tellement qu’elle réside loin, au fond de ma mémoire.

C’était un soir malingre, marqué par la chaleur funeste d’un mois d’août. Je regardais un film de science-fiction au sous-sol, sur un grand téléviseur de 16 pouces. À cette époque, ce n’était point un grand écran plasma, mais bien un gros tube cathodique qui prenait l’ampleur d’un coin emménagé du salon. Bref, c’était aussi la fortune glorieuse et bourgeoise de mes parents, et vers cette même époque, j’avais alors 18 ans. Me revoilà encore dans ce sous-sol, refait avec le mobilier du rez-de chaussée. Quelques meubles et quelques divans remplissaient l’endroit, tout autant que deux ou trois longs tapis qui gisaient sur le plancher de béton armé. L’humidité de cette cave atteignait un seuil plus que confortable, car le niveau du rez-de chaussée faisait suffoquer moi-même et le reste de la famille, de par son record de canicule ambiant. Chaque soir d’été humide et chaud ne garantissait aucune fraîcheur, tout comme mes étés de maintenant d’ailleurs.

J’écoutais le bruit de pas furtif et discret de ma mère, attaquant la cuisine d’une pleine catimini. Ma mère avait inlassablement faim. Soit qu’elle entrait dans la cuisine pour se concocter un mets, ou soit pour sortir du frigo une gâterie quelconque. Tout me parut normal, lorsque tout d’un coup, j’entendis le hurlement au meurtre bleu de ma mère, ensuite sa voix devint gutturale et s’étrangla de stupeur. Dans un étrange hasard, le film que je visionnais sur le téléviseur, était Aliens de James Cameron, le deuxième film dans la série de films, Alien. Non, mais quelle étrange coïncidence également que son cri se produisit au moment d’une énorme scène de sauvetage, où Ripley et son équipage fuyaient un vaisseau habité par les créatures noires, nommées les Aliens ou extra-terrestres, sur une planète perdue et en toute désolation. Dans le film, ils s’échappaient de l’antre du vaisseau, en se sauvant dans un char d’assaut futuriste, étanche et à chenilles. La musique du film, composé par James Horner, tonnait dans le sous-sol, tandis que je courais à vive allure dans les escaliers pour m’apercevoir que ma mère se prenait la gorge et la bouche dans sa panique, tout en reculant d’effroi dans l’embrasure de la porte.

Dans sa panique, maman demeurait affolée, mais articulait nettement :
« Ah ! Cibole! Yvon ! J’ai vu quelqu’un à l’arrière qui regardait à l’intérieur de la cuisine avec ses mains en visière pour scruter l’intérieur de la cuisine ! Il était habillé en tee-shirt et en jogging ! Une chance que j’ai crié assez fort ! me révéla-t-elle, tandis que je glissais la porte-patio pour pénétrer dans la cour, suivi de mon père, peinant d’être éveillé totalement, pendant qu’il dormait profondément. Dans sa course pour me rejoindre dans la cour, il trébucha sur quelque chose, le planant sur le plancher. Il s’en redressa abasourdi et ankylosé. »

Je scrutais méticuleusement, or il n’y avait personne. Nul homme ou femme était caché dans les recoins du terrain, jusqu’au moment où je réalisais de l’appartement vacant au deuxième étage. En somme, ce fut un logement qui tardait à être rénové depuis vraiment longtemps. Au fond, je savais que la porte de derrière était restée déverrouillée. En gravissant les escaliers de secours noirs et en fer, j’ouvris la porte du logement, et entra secrètement, tout en braquant une torche électrique oblongue sur les murs. J’entendis une forte respiration, émanant de l’autre bout de l’appartement. En restant dans la cuisine, j’écoutais à ce qu’il me semblait le babillage incompréhensible d’un homme, entremêlé d’un souffle court. Je suivis le son qui traversait l’appartement, qui était un 4 et demi, si je ne l’ai pas mentionné plus tôt. Subitement, j’ai vu un homme, vêtu fidèlement de la description de ma mère et accroupi dans un coin du salon.

Cela ne transpirait point de ma personne, cependant je ressentis simplement que la crainte et le dégoût combattaient sans merci dans mon cœur et ni l’un des deux remportait le dessus sur l’autre.

J’ai rompu le silence en définitif :
« Que faites-vous ici ? m’exclamais-je, mais il ne me donna point de réponse et il se contenta de me fixer de son regard vitreux et obnubilé. Bon contentez-vous de rester ici, pendant que la police arrive.
- Pis toi, qu’est-ce que tu fais icitte ? répondit-il.
- Moi, je possède la place icitte ! répliquais-je, en souriant. Et toi non ! Mon intrus voulait se relever, restant encore dans son coin.
- Yvon, est-ce que tu le vois ? fit ma mère, pénétrant à son tour l’appartement libéré. Y’es ici ?
-Oui, m’man, il est ici, criais-je en projetant ma voix au loin, mais il ne bougera pas beaucoup, ça je le garantis.
- Oh, ça ! C’est juste toé ! Ti-Casse ! fit mon locataire supplémentaire et m’asséna un coup rapide du droit au visage.
- Yvon ! beuglait ma mère en contemplant la scène, paralysée sur place par la terreur. »

Je répliquais d’un coup de ma gauche sur son nez, qui le broya au contact. Mon sous-tortionnaire valsa vers l’arrière, tout en vacillant du haut du corps et il finit par s’écraser sur le plancher. Ma mère me rejoignit à mon côté droit.

« Là reste au sol cawlisse ! Attends toi pas que je me mette à t’écraser dans le coin, crisse ! lui fis-je dans ma rage, mais il ne me répondit pas, les deux mains agrippant son nez et il restait là croyant que son nez fut arraché, laissant croire que la force du coup l’aurait mutilé. »

Soudain, le rôdeur fit quelque chose d’incroyable et de surréel. Quelque chose, dont l’inusité simple ne deviendrait que triviale, tellement que l’incident sortait de l’ordinaire ; tant que la situation a connu une muette dégénérescence. Ce malheureux hasard défiait toute convention de logique. Or, le souvenir de l’événement ne perdurera plus longtemps à ma mémoire, alors que j’oublie dans l’ineffable, l’horreur et le macabre. En ce qui concerne ma mère, je ne savais pas trop ce qu’elle cogitait dans le feu du moment.

Cependant, je me souviens aigrement que le choc nerveux la laissa presque dans une torpeur inerte. Mon bagnard saisit des deux mains sa tête, en roulant comme une bûche de drave sur le plancher de bois franc. Une force mystérieuse, probablement la peur, me cloua d’où ce que j’étais, positionné encore dans l’embrasure de la porte. Il proféra de pleine véhémence des phrases particulières qui me semblaient dites dans une langue étrangère :
« Koweisan !.. Illiam !.. Koffati !.. Kurveas !.. Salamam !... Kirowam !.. »
Aussitôt, l’horreur et l’extraordinaire ! Le corps de l’intrus commençait à s’aplatir. J’ai décidé de m’approcher de deux pas vers lui, alors qu’il voulait me balayer de ses mollets dans de nombreux mouvements spastiques et convulsés. Je m’en écarta et ma mère me tira par mon avant-bras, encore dans le cadre de la porte. Nous, comme les spectateurs bouches bée et muets que nous étions, le regardions faire, ne bougeant plus d’un poil. Voulait-il se faire secourir ? Nous l’ignorions encore durant ce temps, tout comme aujourd’hui.

Il se métamorphosa de toutes les fibres de son corps en une énorme et stagnante flaque d’encre. Apparemment, la transformation ne semblait pas lui faire le moindre mal. La flaque bougea d’elle-même en glissant sur le plancher, afin qu’elle puisse grimper au mur. De toute sa viscosité, elle coulait sur les murs tout en adhérant sur la surface, dans les fins de rejoindre la fenêtre de la pièce du salon, présentement entrouverte. La flaque d’encre aqueuse, telle un ruisseau, se ruait vers la fenêtre, tout en continuant ses longs mouvements de reptation sur les murs.

La flaque traversait le moustiquaire, de pleine aisance, ne ressentant aucune douleur pour son « corps », devenu un liquide visqueux et organique.

«Non mais… Merde, fis-je en sortant quelque peu de la torpeur d’une hallucination et j’ai couru vers la fenêtre, reposant les mains sur le châssis. »

Là, j’ai ressenti mon deuxième choc et ma deuxième expérience foldingue et unique de ce soir. Un groupe de cinq filles blondes se promenait le long du trottoir dans une formation de pentagramme. Elles marchaient en unisson, dans une parfaite synchronisation, et lorsqu’elles marchaient dans la forme d’un pentagramme, elle tenaient ensemble une longe corde à sauter informe et rose. Je ne retrouvais plus du regard, la grande flaque noire qui incarnait hélas mon rôdeur.

Il n’y avait seulement que ces cinq filles qui agrippaient leur corde pour imiter la forme d’un pentagone. Soudain, le groupe de filles s’arrêta net devant la fenêtre et elles levèrent toutes la tête pour me dévisager, semble-t-il. Elles regardaient et fixaient la fenêtre du deuxième étage, en considérant que l’immeuble était un triplex. Leurs yeux devinrent inexplicablement jaunes et lumineux. Cette apparition funeste me transit de frayeur, comme une décharge électrique dans tout le corps. Je m’enfuis de la fenêtre et du salon, emportant ma mère en lui tenant fortement la main. Nous nous sauvions encore par l’arrière et la cour et nous rentrâmes chez nous dans une hâte lugubre.

Dès l’arrivée de la police, je ne savais trop quoi leur raconter, parce qu’après tout, quand on y pense, ce fut une histoire saugrenue, beaucoup moins effrayante qu’on ne le croyait, mais définitivement fantastique.

Je me contentai d’avouer que ma mère a intercepté un intrus et il a eu la bonne idée de s’enfuir juste à temps. Dès que je fis la description de mon voleur à l’un des agents, ce dernier était connu parmi les policiers, exclusivement du quartier. Son nom était Denis Rivelain et il pratiquait en sorcier amateur, et parmi ses proches ou ses amis, ils connaissaient ses occupations. Il était aussi connu des policiers possiblement à cause de son casier criminel, puisqu’il survivait en effectuant des larcins pitoyables et quelques cambriolages. Dans sa qualité de sorcier, Rivelain pratiquait la magie noire et les vociférations dans une autre langue, furent des incantations magiques sur sa personne pour s’insuffler un sort.

Je voulais néanmoins une explication de la présence des cinq filles étranges sur le trottoir, de la part de l’agent. Elles m’ont regardé curieusement et semblaient trop jeunes pour se balader la nuit, même pour une nuit d’été. Ont-elles continué leur chemin, quand j’ai quitté la fenêtre ? Ou bien ont-elles disparues dans la vapeur des nuées, d’un rien visiblement, comme si elles n’avaient jamais existé auparavant ? Cela m’aurait fortement contrarié que ce groupe de jeunes filles mystérieuses ne devint qu’un pur produit de mon imaginaire dans un état de panique prononcé.
Le policier haussa les épaules : « Nous allons faire une patrouille et si nous les voyons, nous insisterons qu’elles rentrent chez-elles. Mais d’après moi, avec le surplus de peur et d’adrénaline que vous avez eu ce soir, c’est probablement votre imagination qui était trop active. Je doute fort de les voir même, en sortant, si elles avaient… Comment ?
- À peu près dix ou douze ans dans l’ensemble, précisais-je.
- Bon bien, fit le policer en maintenant son scepticisme. »
Je ne répondis rien d’autre bien sûr, car je ne voulais pas être perçu comme un impertinent. Cependant, cette soirée-ci, je ne pouvais plus dormir, ni ma mère non plus. Maman fut transportée à l’hôpital St-Luc, car le choc nerveux était trop intense. Lorsque, nous sommes rentré à la course, elle tomba raide dans les pommes et mon père Arthur appela de par son cellulaire, une ambulance.

Je me couchais sur mon lit, suite à la conclusion de mon rapport à l’agent. Arthur fut avec ma mère à l’hôpital, depuis son trajet en ambulance. Aussi bien dire qu’elle n’avait pas encore de carte d’hôpital. Mon père revint de l’hôpital en compagnie de maman, vers deux heures, prenant un taxi, dès qu’on lui donna son congé de la soirée. Elle devait se convaincre, que c’était seulement un cauchemar, et rien de plus. Force m’était de constater que je n’ai plus jamais revu les cinq petites blondes au regard jaune, alors oui, je les ai probablement halluciné. Bien entendu, je n’ai plus jamais revu mon charmant truand, Rivelain et tant mieux pour lui, il savait à qui il avait affaire et il n’ambitionnera plus sur la maison.

Moi, je ne pensais rien ; je ne réfléchissais à rien et je restais tranquille, seul et vulnérable au sort du sommeil. Tant qu’à moi, je voulais avoir une amnésie totale de cette longue hallucination macabre. Au lendemain matin, j’ai tout oublié, comme si la journée n’avait jamais existé, comme un terrible et inoffensif cauchemar.



FIN

18 janvier 2013

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