Théorie du montage chez Sergei Eisenstein

Le montage au cinéma fut compté comme l’une, parmi plusieurs innovations essentielles pour que le cinéma se reflète tel que l’art que nous connaissons tous et si bien aujourd’hui. C’est par le montage aussi bien qu’avec l’aide de la photographie que l’on parvient à faire le photo-roman, ou nettement le photomontage. Tout un ensemble d’éléments photographiques corroborent à véhiculer une thématique attachée à la conscience et à la psyché du créateur, qu’il veut propager au moyen de son esthétique. Pour un photomontage, c’est l’ordre des choix conscients que l’artiste doit faire, afin que tous les éléments photos découpés à la guise de l’artiste puissent communiquer un même thème, qui subséquemment se doit d’être clair ou non. Le montage dans la Bande Dessinée, est ce qui est au cinéma l’ordre du découpage technique, incluant la condition qu’il y a un scénario que l’on donne au dessinateur expérimenté, où celui-ci va jouer avec la tabularité des cases afin de rendre captivante la B.D. Mais le montage ne fut pas toujours ce que l’on connaissait dans le cinéma, il est dans l’écriture avant d’être dans les plans et les images. Dans le cinéma des années vingt et trente, on instaure toutes les règles de codes grammaticaux classiques afin de confectionner le montage classique, et les règles se firent par les formalistes russes : Poudovkine, Eisenstein, Vertov et Koulechov. Par la suite, D.W Griffith s’est inspiré des règles des formalistes russes, afin de concevoir les règles de raccord de mouvement, de regard, et ainsi que le montage alterné pour systématiser le langage cinématographique dans le cinéma hollywoodien.


Cependant, ce ne sera qu’après l’arrivée de Sergueï Eisenstein durant les mêmes décennies, qu’il introduira sa propre philosophie sur le montage, en proclamant dans une phrase célèbre : « le montage est roi. » Il est fort vrai que ce n’est qu’avec l’écriture d’un film qui se fait à travers le montage, que le cinéma va s’affirmer définitivement tel qu’un art. Avec le montage, Eisenstein sortira le cinéma des théâtres burlesques, afin qu’il puisse devenir un art sérieux. Il est nettement très facile de concevoir que c’est seulement avec l’essor de son montage, que Eisenstein voudra induire des chocs émotionnels à son public, en montrant des segments filmiques d’une violence inouïe dans un rythme excessivement rapide en voulant provoquer chez son spectateur des humeurs de révolte et de soulèvement. Dans toute cette merveilleuse philosophie du montage chez Eisenstein, ce que l’on retiendra le plus, est son montage des attractions. À travers le montage des attractions, Eisenstein va faire le montage vertical, en inculquant des idées précises sur une situation, ou simplement de ne pas rendre un événement banal et de choquer une fois de plus émotivement le spectateur. Cependant, dans le montage des attractions d’Eisenstein, tout est vraiment l’ordre des choix conscients de son réalisateur, mais par contre il faut se questionner à propos de ces choix, ainsi que de ses sources d’inspirations et l’héritage que ce montage des attractions a laissé dans le cinéma contemporain d’aujourd’hui. Certains chercheurs ont axés leurs recherches et leurs données sur Eisenstein, strictement en reposant toujours sur le film fini, mais en laissant complètement de côté le scénario. Les chercheurs se concentrent sur la version canonique des films originaux d’Eisenstein, en ne prenant pas conscience des sources d’inspiration du montage eisensteinien, et de l’écriture du scénario. Le scénario est important, puisqu’avant tout, il y a la naissance interne du montage d’Eisenstein, dans le découpage interne et technique ou dans le scénario original. Il faut prendre conscience des inspirations de son époque dans tous les milieux d’art où Eisenstein aurait puisé afin de confectionner son propre montage.

Tout au long de ce discours, pour répondre à l’ensemble des choix conscients d’Eisenstein dans son art, nous allons nous entretenir à propos du montage issu dans le scénario, l’inspiration recelée dans le cinéma des premiers temps et D.W. Griffith.





Le montage dans le scénario se fait d’une manière subtile, lorsque l’on considère que tout l’essor du montage des attractions se fait par le découpage implicite et technique dans le scénario, puisque même le choix des plans, la consistance des plans se font dans la conscience de son réalisateur. Léon Moussinac explique qu’Eisenstein avait dressé une liste-montage de ce qu’avait fait Eisenstein lors de la réalisation du film, Le Cuirassé Potemkine. Dans cette liste-montage du Cuirassé Potemkine, c’est une scène qui illustre les hommages funéraires d’un marin courageux qui fut le meneur de la mutinerie sur le bateau, et une petite frégate amène la dépouille vers un village, afin de faire connaître aux concitoyens de ce village côtier ce qu’il a subi. La scène s’illustre comme suit :

« III. Le Sang crie vengeance

DEUIL

Corps du matelot assassiné Vakouliénchouk



1. Tente en G. P.

2. P. G. Jetée vide avec tente.

3. Fondu. Bras croisés avec cierge.

4. Sous le drapeau. Nuit.

5. Tête.

6. Cierge en G. P.

7. Rubans deuil.

8. Le « Potemkine ».

9. Pêcheurs.

10. Bouées dans l’eau.

11. Rade.

12. Mouettes sur l’eau.

13. P.M Jetée avec tente.

14. Odessa vue de l’eau.

15. P. G. Jetée avec tente. Quelques curieux.

[…]

28. De la tente, foule à côté de Vakouliénchouk.

29. Deux ouvriers, tête découverte.

30. Deux femmes à genoux.

31. TEXTE DE LA PROCLAMATION… »



À première vue, ce n’est pas un style conventionnel pour la scénarisation, malgré que dans ce découpage implicite, il comporte des indications techniques concernant l’échelle des plans. Comme résultat, l’apparence de la liste-montage pour le film du Cuirassé Potemkine est celle d’un découpage technique. En constatant aujourd’hui, un scénario de film contient des règles de forme essentielles, et souvent ne requiert d’aucune indication technique.

Ce que l’on peut nettement voir, est qu’Eisenstein utilise une scénarisation et un découpage technique très tronqués pour une liste-montage. Les plans suggérés par Eisenstein ne contiennent pas immensément une définition proprement établie. Mais en constatant cette liste montage de la scène du marin décédé, est-ce que l’on peut deviner qu’Eisenstein a fait au préalable un scénario ? On peut en déduire que oui, mais en ce qui s’agit de trouver les scénarios, cela devient une autre paire de manches, parce qu’il faut chercher les véritables scénarios originaux dans les boîtes de production du film de cette époque des années 20, Le Cuirassée Potemkine. Une chose devient nettement certaine, l’idée de retrouver les scénarios d’Eisenstein serait vraiment une très mince affaire ! Puisque l’on ne sait pas ce qu’il est advenu des scénarios originaux d’Eisenstein, on ne parle plus d’Eisenstein en tant que scénariste, mais en tant que réalisateur et monteur. C’est de cela que tout le mythe eisensteinien prendra son essor avec sa philosophie du montage et son formalisme. En ce qui est question de sa scénarisation, on peut nettement remarquer que même dans cette liste montage, on distingue son montage des attractions. On distingue les plans, en étant de courtes phrases nominales, comme étant un scénario ouvert. Alors, si on prendrait cette liste-montage sous une forme de scénario, soit un shooting script définitif, ou soit l’une des plusieurs ébauches qu’avaient fait Eisenstein, en partant de son scénario original, on peut retrouver toute l’idée générale de l’œuvre. Lorsqu’il s’agit de déceler un montage des attractions, on examine que dans la liste-montage avec les plans numérotés, il y a des plans qui iront chercher éventuellement l’affect et les penchants du spectateur. On possède l’idée de vouloir converger les états d’âme du spectateur vers une certaine direction, et cette direction devient ce qu’envisage Eisenstein. Si on prend l’exemple de trois plans : « 28. De la tente, foule à côté de Vakouliénchouk. / 29. Deux ouvriers, tête découverte. / 30. Deux femmes à genoux. » Il y a une idée précise des affects qui veulent être portées au spectateur, malgré que les courtes phrases donnent l’idée vague d’un plan. On veut donner spécifiquement cette idée de recueillement que les femmes ont dans leur comportement devant la dépouille du marin. Par la suite, en regardant une autre liste-montage d’Eisenstein qui est celui de la fameuse scène de l’arrivée des Cosaques sur les marches d’Odessa, faisant suite au scénario, on remarque que de nombreux plans sont envisagés vers la réaction de la foule et des gens, ce qui contrôle toute la narration du film. Dans ce même livre de Léon Moussinac, il y a plusieurs ébauches de plans qui contiennent encore l’idée du montage des attractions : « 1. P. G. Noir. Escalier, ils regardent. / 2. P. M. ils regardent. / 3. De dos, G. P. Ils regardent. / 4. Deux ouvriers regardent. […] 31. Fusillade. / 32. Des gens tombent dans les fleurs (une corbeille tombe). / 32 a. Un manche de parasol se brise. Parasol dressé sur l’appareil. » Ce que l’on obtient également avec cette autre liste-montage, sont les premiers balbutiements du montage des attractions. Dans sa liste-montage, on s’aperçoit qu’Eisenstein accorde de l’importance aux petites actions qui peuvent s’avérer dramatique, si on prend en contexte de toute l’autonomie des plans. On discute de l’autonomie des plans, puisque si on sortirait chacun des plans hors de son contexte particulier, le plan ne voudrait rien dire par lui-même.

Ce n’est que plus tard qu’Eisenstein va contenir du raffinement dans sa méthode de scénarisation avec le film, La Ligne générale. Ce scénario, en revanche n’aura pas tous les aspects de l’écriture ordinaire et non-littéraire qui concordent à la pratique du scénario. Dans cette méthode de scénarisation, il n’y aura pas de règles qui vont le définir dans la forme conventionnelle du scénario. Poursuivons avec un autre exemple, puisque l’on retrouve les traces du montage des attractions dans les fragments du scénario original du film d’Eisenstein, La Ligne Générale. En comparaison avec la liste-montage, il y a de l’élaboration dans les idées, tout autant que la mise en scène devient quelque chose de plus clair, en ce qui attrait du jeu des comédiens. Bien certainement, le scénario d’Eisenstein, coécrit en collaboration avec Alexandrov, garde encore une primitivité dans la forme conventionnelle du scénario, comme on le connaît aujourd’hui, en l’an 2007. Cependant, il faut prendre pour acquis que le scénario, à l’époque d’Eisenstein est encore à ses débuts, même que l’on pourrait dire qu’il commençait à naitre. Il y a encore des cas limites, lorsque même les fragments du scénario original, contiennent encore un style proche au romanesque, sans faire un découpage par scènes. De plus, Eisenstein divise son scénario en actes, plutôt qu’en scènes, ce qui se corrigera au fil des décennies, quand il y aura une standardisation de la forme du scénario. Dans une scène du film, La Ligne Générale, on peut présager de la forme rudimentaire du montage des attractions.

D’autant plus, on soulignera également qu’Eisenstein tombe dans l’abstraction, puisque ce scénario possède une psychologie littéraire, et on nous donne l’accès aux pensées intimes des personnages :

« TROISIÈME PARTIE

[…]

Soudain, sa joie tombe.

Elle vient de pénétrer dans la pièce où les dirigeants de la coopérative répartissent entre les journaliers les bénéfices réalisés par ceux-ci.

L’argent, le bien commun, à quels barbotages est-il soumis! Des kopecks se glissent dans les blagues à tabac, dans la doublure des casquettes, se dissimulent jusque dans la tige des bottes.

Marfa écume; elle se précipite vers la table, la frappe du poing :

“ Voulez-vous le gaspiller en beuveries ? ”

Les journaliers se moquent d’elle, comme lors de la première assemblée. Mais Marfa leur tient tête : elle ne tolérera pas que l’argent péniblement acquis soit dilapidé,… »



Avec la phrase, « L’argent, le bien commun, à quels barbotages est-il soumis ! » , Eisenstein nous donne l’indice d’un montage des attractions. Dans cette phrase, on nous renvoie à plusieurs mains, en présumant que ce sont les mains des ouvriers, empoignant frénétiquement les billets de banques. On présente une allusion à l’endroit de l’argent, glissé dans les bottes des ouvriers, et cela marque une insistance au sujet de la cupidité, c’est-à-dire de l’avarice propre des ouvriers. Cela se fait comme un montage d’attractions ou pour indiquer une métaphore visuelle. Nous avons des gros plans sur les mains des ouvriers qui disposent de leur argent dans leurs poches et leurs larges bottes. À part que ces paragraphes soient précis dans leur description propre, Eisenstein emploie une psychologie littéraire qui nous renseigne sur les motifs profonds d’un personnage dans un scénario. En regard de l’écriture d’un scénario d’aujourd’hui, cela ne se fait pas, puisqu’il faut rester dans le concret de l’action, sans aller dans la pensée et la psychologie propres des personnages. Ce scénario tenait lieu d’un roman. Pour la liste-montage dans le Cuirassé Potemkine, au contraire, on ne lit pas un scénario romanesque, mais de courtes phrases elliptiques qui nous donnent l’idée vague de ses plans. On remarque toute la démarche de son évolution jouant de l’écart du temps entre ces deux films. En somme, on trouve toute une préconception du montage des attractions, rien qu’avec cette liste-montage, même si elle en trace un portrait assez rudimentaire du montage-choc dans le film Le Cuirassé Potemkine. Concernant son cinquième film, La Ligne Générale, on déduit un montage d’attractions, mais dans son évolution artistique, son scénario donne explicitement ses impressions, ainsi que les motifs des personnages, comme un roman. On distingue le rythme du film, seulement qu’en jugeant les plans eux-mêmes. Les plans dans la liste-montage, sont composés comme de courtes phrases précises et brèves, qui ne sont même pas des phrases complètes, ce qui donne un rythme rapide et frénétique à ce film. Les courtes phrases nous font juger que les plans ne sont que de brèves instances, sans avoir l’élaboration d’une scène avec un scénario original.





Les sources d’inspirations du montage pour ce cinéaste russe, furent nombreuses. L’idée que l’on en a, est que la majeure partie de son inspiration venait de D.W. Griffith. L’inspiration pouvait transparaitre par les courts-métrages de Griffith, incluant son infatigable formule du last minute rescue, qu’il a produit pour la compagnie Biograph. Étant donné que ce sont deux cinéastes qui ont vécu à la même époque, on déduit que l’inspiration fut mutuelle, et ces deux cinéastes ont trouvé un sens fraternel les unissant, pour la mise en récit de leurs histoires. Chez Griffith et Eisenstein, leur style avait une étroite ressemblance, mais Griffith fut le premier à systématiser tout ce que le langage cinématographique pouvait provoquer et accomplir à cette époque. Cette systématisation se fit, même en prenant conscience de tous les moyens techniques ou financiers, vers cette même époque.

Avec Griffith, en somme, c’est l’avènement d’un cinéma d’action dans une forme qui est quand même primitive, lorsque l’on considère que les acteurs devaient faire leurs propres cascades périlleuses, tenant compte des grands réalisateurs du Burlesque américain, Buster Keaton, et Charles Chaplin. En s’inspirant du cinéma de Griffith, Eisenstein tiendra compte de trois éléments certains, afin de les instaurer dans son propre cinéma. Le premier élément est le rythme du montage chez Griffith qui est un montage rapide, et habité exclusivement par le mouvement, ce qui corrobore au montage classique. En particulier, ce qu’il faut comprendre du montage classique, est que c’est un montage qui est exclusivement habité par le mouvement. Le deuxième élément est le montage alterné et l’élément final est le montage parallèle. Finalement, Eisenstein va construire son montage propre et va puiser dans ces deux formes de montage. En somme, c’est à travers ces trois outils qui viennent de la gracieuseté de Griffith, qu’Eisenstein confectionnera et systématisera son cinéma.

Pour en déduire que si on prend en exemple des scènes d’un film d’Eisenstein, comme La Grève, il y a une alternance qui se fait entre la simultanéité de plusieurs actions. Pour illustrer l’exemple d’une scène dans La Grève, un congrès du haut-patronat bourgeois bien nantis et bien gras évolue, tout autant que l’on assiste à des soldats qui massacrent la tête et le corps des ouvriers grévistes. Dans ce carnage, les ouvriers se retrouvent dans une situation précaire. Dans ce montage de La Grève, Eisenstein nous fait vivre cette alternance entre les ouvriers grévistes qui luttent pour leur chère vie aux mains des briseurs de grève, contrairement au haut-patronat qui vit fastueusement dans le luxe et l’abondance. Mais ce sont dans ces segments qui s’opposent l’un à l’autre, les deux actions ne se rejoignent pas, alors on parlera plus spécifiquement d’un montage parallèle. Pour Eisenstein, le montage parallèle deviendra un élément indispensable, pour son montage des attractions. Eisenstein doit inculquer à l’aide de tous les moyens qui sont à sa disposition, l’impulsion d’agir et de réagir devant l’injustice. De plus, il est facile de faire du montage parallèle, lorsque dans le film La Grève, on assiste à une nature dichotomique, qui est la classe du prolétariat, et la classe de la haute-bourgeoisie. Dans le montage, on fixe l’alternance entre ces deux univers qui sont très différent l’un à l’autre. Or, dans ce parallélisme des deux classes sociales mises en scène, on veut satisfaire l’envie du public, voulant savoir qui est l’opposant, qui est le responsable de la misère des prolétariats. Alors, Eisenstein, grand manipulateur, va faciliter la compréhension au point de vue de le rendre complètement manichéen. La classe bourgeoise égale le mal incarné, et la classe du prolétariat égale les bons et vertueux.

Par ailleurs, pour faire la somme de son montage des attractions, Eisenstein avait également puisé son inspiration dans le cinéma des premiers temps. Entre autre, Eisenstein avait compris que dans ce cinéma primitif venant juste de paraitre, c’était un cinéma clivé. On discute d’un cinéma qui était sous l’influence de l’attraction du vaudeville, dans sa monstration attractive, et de l’esprit du cinéma narratif. Dans ce rapport du cinéma des premiers temps, le cinéma ne devenait qu’un objet de pure attraction, et n’était jamais considéré comme un art narratif. Dans la même ère du cinéma des premiers temps, Méliès dévoilera l’idée de raconter des histoires à travers ses propres films, qui se véhiculeront comme des films, ayant leur propre univers diégétique. À la seule différence qu’Eisenstein n’aura pas l’uniponctualité de Méliès dans son cinéma, en constatant que dans ses films, le décor change tout autour des personnages. De plus, Eisenstein va mobiliser la caméra, afin de faire dans son montage, non pas seulement du lyrisme, mais également un montage fracturé avec des coupés franches, qui fera le montage choc.

Eisenstein avait le dessin de vouloir faire un montage de plusieurs attractions. Les scènes d’action contenues dans sa mise en scène, ainsi que son histoire, remplacent les tentatives d’amuser le public en leur présentant des choses insolites. Avec l’attraction monstrative du cinéma des premiers temps, on voulait titiller la curiosité du spectateur néophyte à propos de la cinématographie, tout en l’amusant. Au travers du cinéma des premiers temps, ce n’est que Ferdinand Zecca qui se consacrera à faire du cinéma, un art complètement narratif, avec les studios de cinéma de Charles Pathé.

L’ultime différence qui existe entre Eisenstein et le cinéma des premiers temps, est que tous les moments forts de son cinéma en juxtaposant les plans, seront dans un rythme rapide et frénétique. Ces mêmes plans doivent irrévocablement discourir une histoire. Tout compte fait, au point de vue du contenu, le cinéma des premiers temps ne véhiculait pas toutes les splendeurs de l’idéologie communiste. Eisenstein, quant à lui, devait véhiculer cette idéologie dans son cinéma. Dans cette même juxtaposition de deux plans consécutifs, Eisenstein optera pour des choix formels de mise en scène, avec certains de ses plans qui ne font pas partie de l’univers diégétique du film. On parlera donc de métaphores visuelles. Chez Eisenstein, les métaphores visuelles sont exécutées dans l’ordre de la thèse, de l’antithèse, et du résultat des deux, la synthèse. La synthèse se résume à l’expression métaphorique qu’Eisenstein inculque à son spectateur, afin de comprendre les motifs profonds d’une situation exprimée dans le film. La métaphore visuelle eisensteinienne peut servir à la compréhension de la trame narrative du film, mais elle sert tout autant à choquer son spectateur à propos de la vraie nature des personnages.

Afin d’illustrer des exemples, prenons deux cas dans le film Octobre, réalisé en 1928. Dans une scène de la montée des hauts politiciens vers leurs bureaux respectifs, la première métaphore, arrive lorsque le personnage d’un dictateur se tient debout contemplatif devant son propre bureau. Il deviendra le chef dictatorial de l’Union soviétique. On juxtapose avec le plan où le dictateur se retrouve devant la porte crispant sa paire de gants derrière le dos, avec un autre plan où un paon automate déplie ses plumes et se retourne étant dos au spectateur, tout comme le dictateur. On alterne entre ces scènes par plans consécutifs, quelquefois c’est le dos, les bottes du dictateur, ainsi que les gros plans des laquais, pour en finir avec le paon robotique. Eisenstein communique à travers ce montage d’attractions, la personnalité égoïste, arrogante et vaniteuse qu’est le dictateur, en utilisant l’animal symbolique du paon. En revanche, Eisenstein n’a pas choisi un véritable paon, mais un paon automate, dont les moindres actions de l’animal sont figées. Eisenstein veut déshumaniser le dictateur étant caustique et acerbe, en le comparant à un paon, certes, mais un paon qui est une marionnette pour ceux qui sont à l’ombre du pouvoir.

Dans un deuxième cas, en restant toujours avec le film Octobre, on passe du plan du dictateur en question, pour aller vers un plan d’une statuette blanche de Napoléon. Dans ce montage très prompt dans sa respiration, Eisenstein veut nous faire comprendre et le plus efficacement possible de la mégalomanie et des délires de grandeur du dictateur. On veut diaboliser le plus possible l’image du dictateur, en laissant présumer que Napoléon était un redoutable dictateur sans foi, ni loi. De plus, peu après cette scène dans le film, Eisenstein utilise cette même métaphore de Napoléon Bonaparte, mais avec l’un des généraux du dictateur. Durant cette époque, Eisenstein voulait convaincre son propre peuple, de toute la sanglante dictature qu’avait imprégné le règne du czar sur le peuple, avant l’avènement au pouvoir de V.I. Lénine et de Léon Trotsky. Mais si on prend l’exemple d’un autre film d’Eisenstein, Strike, réalisé en 1925, c’est le discours de la valorisation du prolétariat face à la haute bourgeoisie. En somme, l’influence du cinéma des premiers temps dans le travail de la mise en scène d’Eisenstein, ainsi que de son montage, fut quand même très considérable. Le travail de montage chez D.W. Griffith a largement influencé Eisenstein, en inspirant chez Eisenstein, le montage alterné et parallèle. Eisenstein a trouvé dans l’attraction monstrative du cinéma primitif, une source où il a instauré ses métaphores visuelles, afin de communiquer au spectateur ses propres motifs au sujet d’une situation donnée, ou au sujet des intentions propres des personnages.



En conclusion, le montage eisensteinien trouve une première forme dans son montage de scénario, lorsque les plans deviennent des idées fixes, par des phrases nominales. Ces plans vont suivre une chronologie l’une à la suite de l’autre. On est capable de distinguer le rythme du montage qui sera un rythme quand même effréné. En considérant les plans de la liste-montage, on s‘aperçoit que les images suggérées dans la mise en scène vont porter sur l’affect et la sensibilité des spectateurs afin de les choquer. Dans cette liste-montage, il n’y a pas seulement que les plans, mais on discerne aussi tout le jeu des caméras d’Eisenstein qui va prendre place sur le plateau de tournage, et non pas seulement que de son montage. Le montage eisensteinien s’est nourri du cinéma des autres cinéastes, mais aussi de l’ère du cinéma des premiers temps. Dans le cinéma des premiers temps, Eisenstein a puisé pour son montage, tout l’essor de l’attraction que contenait ce cinéma en essayant d’émerveiller les gens par l’inattendu. Cet essor de l’attraction est venu du théâtre du vaudeville, lorsque des acrobates faisaient des intermèdes entre les répétitions. Mais la différence entre lui-même, et le cinéma des premiers temps, est lorsqu’il voudra insérer des attractions dans une continuité visuelle et narrative. Finalement, Eisenstein puisera également son inspiration dans le montage de D.W. Griffith, en particulier le montage parallèle, ainsi que le montage alterné. Eisenstein utilisera ce genre de montage pour la propre intensification dramatique dans les films tels qu’Octobre, Strike et Le Cuirassé Potemkine. Dans le montage du scénario, ainsi que le montage de Griffith et celui du cinéma des premiers temps, Eisenstein nous laisse percevoir des indices clairs de toute la démarche artistique qui constituent le montage des attractions. Maintenant, arrêtons-nous sur le montage d’Eisenstein, afin de se concentrer sur le cinéma de Quentin Tarantino. Bien sûr, il serait important de découvrir dans le montage de Sally Menke, sous la supervision de Tarantino, la forme actuelle du montage des attractions eisensteinien. De plus, il faudrait savoir quel est l’héritage du montage eisensteinien dans le cinéma dominant, dont Tarantino fait partie, tout autant que dans les cinémas nationaux.

BIBLIOGRAPHIE



1. BARNA, Yon, Eisenstein, Bloomington, Indiana University Press, 1973, 287 p.

2. CHATEAU, Dominique, JOST, François et Martin LEFEBVRE, Eisenstein: l’ancien et le nouveau, France, Publications de la Sorbonne et Colloque de Cerisy, 2001, 234 p.

3. EISENSTEIN, Sergueï Mikaïlovitch, La Non-Indifférente Nature, trad. par Luda et Jean Schnitzer, Paris, Éditions 10/18, Unions générales d’éditions, 1976, 444 p.

4. EISENSTEIN, Sergueï Mikailovitch, MLB Plongée dans le sein maternel, trad. par Gérard Conio, Coll. « Arts et Esthétiques », Paris, Éditions Hoebeke, 1999, 94 p.

5. MOUSSINAC, Léon, Sergueï Eisenstein, Paris, Éditions Seghers, 1964, 222 p.

6. THOMPSON, Kristin, Eisenstein’s Ivan the Terrible : A Neoformalist Analysis, New Jersey, Princeton University Press, 1981, 321 p.

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