Raymond Chandler en BD
En contournant les allées des rayons de ma bibliothèque, j’ai croisé mon regard sur cette Bande Dessinée que voici : Playback par Ted Benoît et François Ayroles, d’après le thriller inconnu de Raymond Chandler. «Ah oui, si inconnu que cela. » : m’étais-je dit dans un humour vaporeux. J’ai décidé de le prendre, afin de rigoler un peu, étant moi-même un fan invétéré du grand Chandler. Effectivement, Raymond Chandler, est le père du polar américain moderne tout autant que de son privé iconique Philippe Marlowe. Chandler nous a donné trois classiques du genre noir Adieu, ma jolie, Le Grand Sommeil et Sur un air de navaja. Trois romans noirs qui ont connu leur adaptation au cinéma, par les grands réalisateurs Robert Altman, et Howard Hawks. Adieu, ma jolie, mit en vedette Robert Mitchum, et la mise en scène fut produite par un illustre inconnu, Dick Richards.
Playback était un roman de Chandler, dont il a voulu retravailler un scénario original rejeté par les studios "majors", en faisant réapparaitre son personnage de Marlowe. Dans le scénario et la BD, il n'est aucunement question de son privé Philippe Marlowe, et le scénario a servi de base à la BD. Chandler devint le scénariste d’Hitchcock et de Billy Wilder, considérant son travail scénaristique dans Double Indemnity et Strangers on a Train. Il co-écrivait les scénarios, afin de leur donner un peu plus de punch et de verve, poursuivant le travail de la fidélité dans l’adaptation. Les deux films sont issus de deux livres ; le premier Double Indemnity vient du livre Assurance sur la mort de James Mallahan Cain ; et l’autre Strangers on a Train nous provient du roman du même nom de la grande Patricia Highsmith. Par conséquent, ce que l’on attribuait à Chandler comme responsabilités scénaristiques, étaient énormes, ce qui concordait avec son talent.
Le scénario de Playback n’a pas été produit durant l’époque des années 30, et je peux comprendre pourquoi, à en juger seulement de la BD d’Ayroles et de Benoît. En vérité, l’histoire est moyenne, et nous sommes loin d’arriver à la cheville de ses classiques d’auparavant. On en déduit aussi que le roman est moyen. C’est ce qui nous donne en revanche la qualité moyenne de son histoire, pour la scénarisation de la BD. Tout dépendamment de son réalisateur, ou dans un cas comme celui-ci son dessinateur, il peut dans une certaine mesure l’embellir, mais cela nous donne quand même une œuvre moyenne. L’art de François Ayroles est sublime, en voulant reconstruire cette atmosphère chandleresque qui caractérisait le film noir d’Howard Hawks, de Joseph Losey et d’Alfred Hitchcock. C’est l’art d’Ayroles dans toute la BD qui le soutient, par sa parfaite maîtrise du clair-obscur, voulant imiter la dureté de l’éclairage réel pour un film noir. Cependant, ce n’est pas son histoire qui le sauve. Quand on y pense, pour l’époque dont le scénario était issu, si ce texte de Chandler avait tombé dans les mains d’Alfred Hitchcock ou d’un autre réalisateur d’une extrême compétence, il aurait voulu le réécrire pour mieux étoffer les personnages. Cependant, on constate que Ted Benoît n’a pas été vraiment capable de mieux structurer les personnages.
Le problème dans la BD d’Ayroles et de Benoît, est précisément cela : les personnages principaux. On ne comprend trop rien à leurs motifs intérieurs et leurs conflits intérieurs qui les poussent, au gré de leur fatalité. On s’identifie au protagoniste de Betty Mayfield, mais elle ne suscite aucun intérêt, et détient la profondeur d’une flaque d’eau. Il est probable que ce ne serait pas un problème pour Raymond Chandler, pour son roman Playback, parce que Chandler approfondit ses personnages dans la majorité de son œuvre romanesque. Il est évident que Playback, est l’un des romans passablement moyen de Raymond Chandler parmi le petit nombre, incarnant l'ensemble de son oeuvre. Ce qui prouve qu’il était humain, et il n’écrivait pas nécessairement chef-d’œuvre, après chef-d’œuvre.
C’est une lecture moyenne, si vous tentez de le lire. Mais ne vous dérangez pas pour rien, parce que le scénario est resté inconnu pour de bonnes raisons.
6.0*/10
Playback, Ted Benoît et François Ayroles, Paris, Éditions Denoel Graphic
(Photo- Chapitre.com)