Godin, au travers du filtre visuel de Beaulieu
Ce ne fut qu’après avoir contemplé Godin, réalisé par Simon Beaulieu, ainsi que sa rediffusion à la chaîne de Télé-Québec, que l’on ne peut s’empêcher de percevoir l’énorme richesse de la Révolution tranquille, qui se vivait bel et bien même sous le regard du député-poète Gérald Godin. Il est possible de voir le film dans son intégralité. De par son film, Beaulieu se permet de reconstruire sous nos yeux, toute la vie et la carrière de Gérald Godin, sous la réalité visuelle des archives, ainsi que des entrevues de témoignages, qui sont non le moins pertinents. Nous explorons la vie de ce député, qui auparavant durant la Révolution tranquille, avait su marquer l’évolution du Québec, et ce en étant un brillant homme d’État, sans toutefois se lancer dans les courses perpétuelles à la chefferie du PQ, comme nous connaissons maintenant. Godin est resté simple dans la vie, tout comme dans sa carrière de député et de ministre des communautés culturelles et de l’immigration. Godin, le poète, nous écrivait des vers à travers le joual qui nous cisaillait pratiquement tout en insufflant cette douleur du concitoyen pour son poème, qui fut l’un de ses plus populaires et plus percutantes, Énumération. Lamartine fut connu pour son Le Lac, tout comme Godin est connu pour son Énumération, ce qui démontre aisément que nous savons pondre des incontournables. Tout comme Lamartine, Godin était un homme politique. On ne sait pas vraiment ce que l’on aime dans la poésie de Godin, simplement que dans tous les mots, ils doivent se différer l’un à l’autre et percutent, dans une même répétition de style. Agaçant au début, puis finalement on s’y habituait puisque Godin voulait marteler dans l’inconscient par la répétition.
Dans ce film de Beaulieu, on reste surpris de la présence ensemble du poète national Gaston Miron et de Godin, en pleine jubilation totale, tandis qu’ils proclament dans l’ivresse de la joie dans un “quartier général” du PQ, à la soirée des élections: «On va l’avoir notre pays, tabarnak!! » Un rêve qui se tarde encore d’être fait. Où finalement l’idée de l’indépendance devient un thème plus pondérant que la vie seule de Godin. Pour un documentaire qui mêle l’archive télé et les photos, tout autant que les témoignages, Beaulieu soutient notre intérêt malgré tout, en dépit de son style de documentariste beaucoup trop traditionnel, que l’on ne voit pas nécessairement l’influx de son auteur dedans. Nous sommes encore dans le degré zéro du style pour le documentaire. On retrouve que la cinématographie contient en soi une belle plasticité, tout en observant que le montage a été finalement roi dans toute l’oeuvre.
Beaulieu dégage également tout le profond humanisme de Godin à travers ses propres politiques, de son art et dans sa vie. Un humanisme qui n’existe dorénavant plus aujourd’hui, puisque le cynisme du Québécois moyen l’aurait emporté à l’égard de tous les partis politiques. Un humanisme qui s’épanouit vers son apogée, lors de la Révolution tranquille, pour connaître, soit une mort lente, ou soit un renouvellement sous une autre forme. Ce que je ne doute point d’ailleurs, est que n’importe quel politicien de n’importe quel parti, aurait probablement lu son Prince de Machiavel. Un ouvrage intéressant, qui pourrait vous laisser un arrière-goût dans l’excécrable, parce que c’est entièrement un livre à clefs pour comprendre la politique d’aujourd’hui, tout autant que les écoles de pensée des politiciens. Le Prince, c’est pratiquement une école en soi. Par conséquent, on comprend nettement du cynisme des Québécois, parce qu’il n’y a plus aucun politicien qui oeuvre pour le bien commun de ses concitoyens. On s'écoeure au fil du temps, et on ne développe plus aucune confiance en rien. La politique, c’est aussi cela, une lutte au pouvoir, afin d’avoir le pouvoir et d’en faire pratiquement comme bon nous semble dedans, en essayant de trouver n’importe quelle manipulation pour se faire élire comme seul objectif. Quelquefois, la politique est la plus pire des causes désespérées, lorsque nous sommes farouchement idéalistes.
Dans Godin de Beaulieu, on ne ressent pas la manipulation. On ne retrouve point une manipulation dans la rhétorique non plus. On ne reçoit pas non plus l’impression que Godin se devait de détruire les gens pour faire de la politique, en faisant du “mudslinging”, ou tout simplement en faisant des coups “sales”. Pour cette raison, on aime davantage la personne que le politicien, car c’était plutôt un bon artiste après tout qu’un simple politicien d’une ambition vorace.
4.5*/5