Les Mauvaises Herbes: Bélanger et Martin, un heureux mélange entre Altman et Tchekov.


Gilles Renaud, Emmanuelle Lussier-Martinez et Alexis Martin














Je vous fais ce texte, gracieuseté de mon téléphone intelligent Samsung, puisque j’écris maintenant dans mon téléphone en créant des fichiers Word sur Google Drive. Un téléphone intelligent plutôt encombrant dans son volume, puisqu’ il n’est pas pratique pour donner l’heure à une adolescente qui voulait la savoir d’un ton fleurette : « Monsieur, avez-vous l’heure ? » Elle fut vêtue de l’uniforme de mon école secondaire de jadis, Chomedey-De Maisonneuve et nous étions à l’intersection de la rue Lafontaine et de l’avenue d’Orléans. J’ai sorti de ma poche avant-droite, cette lisse plaquette de métal avec écran plat qui me sert de téléphone courant, munie de son câble froissé d’écouteurs et je lui répondis dans mon ton laconique : « 20 heures, 3 minutes. » Autrefois, je me souvenais que j’avais besoin uniquement d’une montre-bracelet, ornant mon poignet droit, afin de savoir l’heure et la dire aussi. La petite, de son côté, dévoila l’heure à sa petite cohorte de cinq de ses comparses, tous provenant de la même école.

En arrivant sur le Boulevard Pie-IX, j’attendais à l’arrêt d’autobus. L’autobus arriva dans le boulevard à son point d’arrêt, parmi les trous et les cavités sur le macadam, provoqués par les interminables travaux  de construction qui sévissaient dans le quartier, tout comme pour les autres arrondissements d’ailleurs. L’autobus me guida naturellement à la station Pie-IX et le métro de la station me guida évidemment à la station Berri-UQAM. Dès la sortie de la station, la belle rue St-Denis fut sens dessus dessous, au point que je ne pouvais pas faire dix pas, sans nécessairement heurter un cône, un panneau ou un terre-plein, barrant un trottoir pour les innombrables travaux de réparation. Normalement, je ne peux pas faire dix pas sans me frotter à un squeegee ou un punk, me sollicitant une aumône particulière en menu monnaie. Les pauvres et les misérables du centre-ville cherchent une petite survie financière, soit pour leur toxicomanie ou pour leur famine de la journée. Ils le font tantôt avec un instrument de musique épars que ce soit la guitare ou le violon, tantôt par des cris d’agonie provenant de leur faim véritable à l’endroit des badauds appréhensifs, ayant le malheur inopportun de leur croiser la route. Pour les pauvres, la faim incarne la force brute et passionnelle et lorsque l’on a faim, c’est simplement une rage passionnelle qui usurpe tout contrôle sur nous, enfin bref la rage de vivre. Donc, on parvient à accomplir l’horrible très facilement.

Heureusement, nous vivons au Canada. Au Canada, on ne laisse pas les gens dans la faim si facilement. Il m’arrive quelquefois et pas toujours souvent, de donner mes pièces d’un et de deux dollars, appelées communément le huard et l’ours. En plein centre-ville, les mendiants pullulent et chaque coin de rue, occupé par un mendiant punk, devient carrément un poste de péage.

Finalement, en enjambant la cohue de citadins tergiversant dans les directions du nord au sud, j’arrive au cinéma.



La critique

J’ai choisi Les Mauvais Herbes de Louis Bélanger sans grande arrière-pensée, sans grande stratégie, mais simplement dans une question de préférence pour Louis Bélanger. Bélanger m’avait agréablement surpris pour son premier film Gaz Bar Blues, possible qu’il va m’abasourdir au nirvana intellectuel avec ses Mauvaises Herbes. En effet, c’est de la pure herbe et c’est du bon, métaphoriquement parlant.

Louis Bélanger et Alexis Martin, du point de vue de la scénarisation, parviennent à faire quelque chose qui ressemble à du Robert Altman, et certes en même temps, c’est du Robert Altman qui cherche à devenir du Anton Tchekov. Tchekov agit probablement comme une inspiration, parce que le grand auteur russe était connu principalement pour la psychologie de ses personnages, pour être plus précis de leur côté crapuleux et sombre, tout autant que complexe. Bélanger, comme réalisateur, arrive à une très belle maturité de style qui me fera toujours penser au travail du maître, Robert Altman. Il survient qu’un beau maître de son art, tel qu’Altman peut nous faire des navets comme Popeye, Dr. T and the Women. Dans ce cas-là, on prononcera seulement que le maitre fut endormi. Or, on peut bien comprendre toute la splendeur du talent d’Altman, lorsque l’on contemple M*A*S*H, Come back to the five and dime Jimmy Dean, Jimmy Dean, The Player, McCabe and Mrs. Miller, Nashville, The Long Goodbye, Short Cuts et Gosford Park. Bélanger, le jeune maître, ne s’est pas exactement endormi pour ses Mauvaises Herbes. En fait, il a le pouce vert pour nous raconter une belle histoire d’un fermier impulsif, gentil et frustre Simon Boulerice, incarné somptueusement par Gilles Renaud, qui fait une plantation de cannabis dans sa grange durant l’hiver glacial.

Toute la plantation récoltée est un legs pour son fils Alexandre Boulerice, interprété par Patrick Hivon, qu’il ne voit plus, après s’être brouillé avec lui depuis plus de vingt ans. Jacques Savorol, incarné par Alexis Martin dans une performance excessivement minimaliste, est un comédien au pris de nombreuses dettes, qui se sauve d’un usurier Patenaude, incarné par Luc Picard, tout en devant une somme faramineuse en dettes de jeu.

Force est d’admettre que Gilles Renaud et Alexis Martin sont tout à fait sublimes dans leur performance. Renaud semble parfait dans un rôle qui lui procure une affinité pour une personnalité pratique et concrète et toutefois très sel de la terre. Martin incarne l’opposition parfaite de Renaud : il est un comédien bourgeois bien nantis et un intellectuel néanmoins très vif et analytique. Martin incarne l`intellectuel citadin et sophistiqué qui se heurte au gros bon sens pratique et sans fadaise du fermier. Emmanuelle Lussier-Martinez, pour un premier rôle à l’écran, nous subjugue dans son rôle secondaire de Francesca, l’employée d’Hydro Nord qui découvre accidentellement la plantation de Simon par la fenêtre, tout en scrutant le compteur électrique inactif sur l’un des murs de la grange. Pour un rôle secondaire, ce n’est pas exactement un rôle ingrat non plus, car le personnage lui permet d’explorer l’avenue de la victime de circonstance qui éprouve son syndrome de Stockholm au fur et à mesure pour le fermier Simon. Elle illumine l’écran sans énorme effort et d’une facilité complète, tout en nous découvrant une belle performance minutieuse. On ne sent point le labeur pour le rôle occupé, ce qui est toujours bon. Luc Picard livre une performance intense, mais Picard exprime toutefois une certaine aisance pour jouer les bandits et les malfrats psychotiques, en conséquence pour lui c’est juste une question d’habitude et il est à son habitude en ne jouant pas contre son type ou à contre-emploi.

Si vous avez aimé Gaz Bar Blues, vous allez certainement adorer le dernier cri de Bélanger.

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