J’ai souvenir encore de M.Brault


« J’ai souvenir encore
D’une rue, d’un quartier,
Qui m'ont vit souffrir, grandir par les années.[…]
Adieu Rue Sanguinet,

 adieu mon coin vitré, 
Robineux du Viger
Putain de la St-Laurent.» 

-Claude Dubois  




Ce fut l’avènement d’un printemps brumeux de 2005 où en plein après-midi, je me retrouvais à faire la course dans la dédale des couloirs de la station de Berri-UQAM, tout en rasant ses murs de trop près. Encore une fois, telle la souris blanche dans son labyrinthe de laboratoire, je frôlais une attaque du myocarde à force de m’énerver comme un imbécile afin d’arriver à l’heure en ressortant des portes battantes des nombreux gouffres de la station Berri. Personne ne devait véritablement m’attendre. De toute manière, les gens, tout comme professeurs ou étudiants pouvaient bien se contrebalancer de mon absence. Je voulais assister à une conférence et elle se fit dans l’une des trois grandes salles de la Cinémathèque québécoise. Une conférence de la part d’un grand documentariste français Raymond Depardon, ce dernier voulait témoigner aux étudiants du Québec de la magnificence de son œuvre.

Mon arrivée provoqua la bien muette indifférence de mes proches et quelque part, j’adore l’indifférence, car c’est dans celle-ci que je retrouve la sainte paix. Tout le monde veut la sainte paix, non ? Bref, je me retrouvais avec possiblement d’autres étudiants de l’UQAM et de l’UdeM, tout confondus pour la fabuleuse conférence du documentariste. Était-ce la première fois pour Depardon ? Cela on n’en sait trop rien et je crois que Depardon doit s’en contrebalancer lui-même de Montréal, bien honnêtement.

En pénétrant discrètement la salle, cette dernière fut pratiquement bondée avec le sang nouveau de futurs artistes et auteurs, tous autant fougueux, jeunes et idéalistes les uns que les autres. Je me suis assis dans la rangée du milieu et pratiquement dans le siège en plein centre. Je me voulais m’assurer une vue d’ensemble sur tout. Depardon fit son apparition en provenant de l’arrière de la salle, tout en ayant l’étroite compagnie du Directeur de la Cinémathèque québécoise. Le Directeur, de toute évidence, allait lui faire sa grande entrevue en tant que maître de cérémonies.

Ce n’était qu’au début de la conférence, que le maître de cérémonies nous fîmes tourner la tête dans la salle afin de constater de la visite du grand cinéaste Michel Brault, qui trônait dans l’embrasure de la minuscule entrée. Brault a voulu être discret à son habitude, mais malgré sa trop grande discrétion, il se fit toujours remarquer, un peu à la manière d’un hippopotame qui se cache derrière un palmier. Brault fut accueilli par la  foule en délire qui le tonna d’applaudissements et d’une longue ovation debout de trois minutes et la foule dans son apothéose parmi la salle fixa vers l’arrière.

Le calme reprit, et c’est le cas de le dire… L’entrevue de Depardon commença et dans son ensemble, elle fut sommaire. Ce n’était ni trop mauvais, ni trop bon d’ailleurs, juste sommaire. Alors, l’entrevue a aussi connu une fin sommaire. J’avais mes attentes et malheureusement, la conférence n’avait pas atteint mes attentes. Par contre, j’ai acquis une vision plutôt pénétrante de la philosophie et des goûts de Depardon, reste à savoir en quoi me seront utiles sa philosophie, ses goûts et aussi sa vie dans l’exercice de mon art. Je me levai de mon siège et me prépara méticuleusement vers ma sortie dans le plus grand secret, or Brault résidait encore à l’entrée et saluait de pleine bonhomie les jeunes et les moins jeunes. Lorsque ce fut mon tour de traverser l’étroit portique, je lui déclarai ceci :

« Ah ! Monsieur Brault, bonjour. Vous ne pouvez pas savoir à quel point comment que Les Ordres m’avait marqué durant mon temps au cégep.
- Ah bien tant mieux, me répondit-il dans une surprise mêlée de contentement. »

 À sa réponse, j’ai ri de bon cœur et on s’est donné mutuellement un high five de la main droite, et on se serra la main de cette manière et nous rions ensemble dans cette amitié incroyablement éphémère. Par la suite, je l’ai quitté et sortit de l’endroit, car je n’avais plus rien à faire. Ce fut la seule fois que je l’ai rencontré; ce fut dans l’amalgame du hasard, la première et la dernière fois. Il était un vieillard de quatre-vingt ans et au temps du film Les Ordres, il n’avait que trente ans.

Dès ma sortie de la Cinémathèque, je vis quelques-uns de mes professeurs de cinéma, et l’un des professeurs, originaire de la France, me serra la main en me reconnaissant sur le trottoir du Boul. De Maisonneuve. De très bons souvenirs de ce professeur, malgré le fait que le début de notre relation fut plutôt difficile. Il était très calme et moi j’étais impulsif, voir caractériel dans ma jeunesse. La maturité s’est donné la tâche de calmer mes ardeurs. Je m’aventurais avec témérité sur le macadam. Puis après, en reprenant le même gouffre du métro souterrain, je me suis rentré chez moi, tout en passant par un bistrot-café pour y engloutir deux tasses moyennes de Moka brun.

D’autre part, en repensant à l’année 2005, le Quartier Latin fit l’effet sur moi d’une douloureuse hantise, exquise et chaleureuse. Je n’ai plus le temps maintenant de m’enivrer sans trêve dans ces nombreux bars, restaurants, cafés, théâtres et cinéplexes, tant que je ne suis pas exactement un alcoolique d’expérience. Aucun temps pour de l’ivresse gratuite, j’ai une vie et du boulot à temps plein comme courriériste, car moi je vis et le rêve ne suffit pas. Je me souviens encore du Quartier Latin de 2005, un très beau quartier dont les murs urbains étaient rongés par le ranci de l’acide et de la désolation. Ce même quartier qui avait connu une grève d’étudiants et ce même sang nouveau de jeunes hommes et femmes qui voudront faire plier un gouvernement libéral par la force des masses et par la casserole T-Fal pour une simple question de droits de scolarité. Un sang nouveau qui a réussi à le faire en le destituant du pouvoir par le seul moyen du vote en démocratie.

Ah ! Telle est la vie; telle est son chemin; telle sera sa conclusion. J’ai souvenir encore de cet idéalisme quelquefois victorieux et quelquefois accablé. Néanmoins, Montréal résiste et demeure en fête malgré tout, immuable à tout changement et j’y réside encore.  

Messages les plus consultés de ce blogue

Hollow Man(2000) - Bande Annonce de Maxime Laperle

Théorie du montage chez Sergei Eisenstein

Mégantic : un poème descriptif - 10 juillet 2013