Harold P. Warren : le créateur de Manos, ou le seigneur des bas-fonds cinématographiques




Eh oui, cet homme incarne une découverte invraisemblable. Pour vous, il incarnera une jouissance ou pour certains, une condamnation. Le film, mis en question dans l’article, est Manos, The Hands of Fate, réalisé en 1966 par un vendeur de fertilisant du nom de Harold Warren à El Paso, au Texas. Je dis « découverte invraisemblable », car il existe finalement un film beaucoup plus pire que Plan 9 from Outer Space d’Ed Wood. Qui l’eut cru que le film serait l’œuvre d’un vendeur d’engrais et de fertilisant pour des agriculteurs. Moi non plus, je ne pouvais pas croire qu’un film pire que Plan 9 puisse exister, mais voilà jusqu’au moment où je regardais un épisode de Mystery Science Theater 3000, et comme tout le monde, j’ai découvert le film, subjugué en ridicule par l’équipe de Joel et de ses robots marionnettes en tant qu’épisode de MST3K.
Le film Manos, en tant qu'épisode de dérision au cinéma sur MST3K

En effet, c’est une méchante découverte, tout autant que le film Manos est aussi considéré comme l’un des plus mauvais films de tous les temps. Force est de constater que Harold P. Warren n’est pas exactement un cinéaste, ni même un conteur professionnel. Cela va même de soi. D’un côté, on admire cependant son effort de vouloir réaliser un film, malgré que l’on n’ait pas une éducation formelle dans le cinéma. La volonté de produire un film chez Warren fut à la suite d’un pari avec Stirling Silliphant, un grand scénariste hollywoodien, mieux connu pour ses films In the Heat of the Night, L’Aventure du Poséidon, La Tour Infernale et les téléséries Route 66 et Naked City.


 Lorsque Silliphant faisait du travail de repérage dans la ville d’El Paso, il parvenait à rencontrer Harold Warren dans une pure incidence fortuite. Dans une discussion avec Silliphant dans un café, Warren avait parié avec le grand scénariste, qu’il était possible de faire un long-métrage de fiction avec un micro-budget de deux mille dollars. En conclusion, ils firent un pari amical de gentilhomme. Mais dès qu’il avait conclu son pari, Warren pensait déjà à une idée de film, en faisant une ébauche de synopsis sur une mince serviette de table. Par ailleurs, Harold P. Warren fut plutôt un acteur formé dans une école de théâtre au Texas. Il incarnait des petits rôles secondaires en faisant des représentations dans les théâtres communautaires. Pour la connaissance du cinéma en soi, on l’attribue à sa formation de comédien. En tant que comédien, Warren avait ses propres excentricités et lubies, et c’est ce qui reflète davantage dans Manos, car le film a un rapport d’intimité avec son créateur. Le film est tellement un morceau du cerveau de Warren, car il a écrit, réalisé et interprété le premier rôle dans l’œuvre, que le résultat final sous nos yeux est l’inconscient ou le subconscient de Warren, transfiguré à l’écran.

Le tournage du film était également une expérience difficile, soit pour les acteurs que pour l’équipe de production. L’équipe devait subir les crises de diva de Warren, dont le tempérament fut autant volatile que difficile. Warren avait trop d’impatience pour tourner un film, et le seul équipement de caméra pour tout l’ensemble du tournage, était une vielle caméra 35mm Bell and Howell. En fait, la caméra Bell and Howell pouvait simplement tourner des images durant trente secondes et pas plus, parce qu’elle devait toujours être remontée. On tourne trente secondes et on remonte, ce qui pouvait bien causer des frustrations. Cela donne à la qualité de la direction-photo, l’impression d’un vieux film de famille enfoui dans un grenier, produit par une caméra Super 8 Kodak. Derrière le dos de Warren, on entendait les membres de l’équipe de tournage qui raillaient la production, tout en la surnommant entre eux, 

« Mangos, Cans of Fruit ». Certes, pour un plateau de tournage, si on discute avec un professionnel du milieu, c’est une attitude plutôt toxique pour une personne travaillant dans l’entreprise sérieuse et difficile d’un tournage, même pour le cas d’un réalisateur improvisé. Quand on l’adopte, eh bien, c’est le baiser de la mort pour le film.

Or, pour un individu qui n’a jamais travaillé sur un film auparavant, le tournage d’un film est une aventure complexe. Les gens, travaillant dans le métier, ne veulent pas travailler avec des amateurs. En conséquence, cela procure une atmosphère de travailleurs col-bleu sur le plateau, où on travaille durant 10 heures d’affilée, tout en ayant une pause syndicale d’une heure.

La première du film était aussi virtuellement un désastre. Warren décida de présenter Manos dans une petite maison théâtre, nommée le Capri, dans la ville d’El Paso. C’était un grand événement pour El Paso, puisque les dignitaires de la ville, incluant le maire d’El Paso voulaient assister à la première du film. Warren n’avait rien qu’une seule limousine et l’auto faisait des rondes autour du pâté de maison où se trouvait le théâtre pour prendre les acteurs du film, situés sur un autre coin de rue. Pour chaque voyage en limousine devant le théâtre, cela donnait l’impression qu’il avait plusieurs limousines qui escortaient les acteurs. Lorsque l’on projeta le film, ce qui était la version finale ou final cut du film, le public se mit à huer et à rire du film vers trente minutes lors de sa projection.

Warren et son ensemble d’acteurs : Diane Mahree, Tom Neyman, John Reynolds et la petite Jackie Neyman  se sauvèrent en douce de la salle par les issues de secours. On concluait donc qu’Harold Warren était blessé dans son orgueil. En constatant que Manos ne pouvait être considéré comme un drame sérieux, il aurait voulu remonter le film autrement, afin de le transformer en comédie. Cela est plus ou moins possible, véritablement… Le montage ne peut pas faire des miracles, au point de le faire sauter du drame vers la comédie.

Pour vous présenter le film dans un court résumé, je peux vous expliquer quand même ceci :

Une famille, qui fait un voyage en voiture dans le sud des États-Unis, veut se rendre à une destination nommée Valley Lodge. La route devient longue et Mike le père, incarné par Warren, commence à rencontrer des culs-de-sac divers lors de son parcours, tout en chauffant sa Buick décapotable. La famille rebrousse chemin du mieux possible, et Mike perd la bonne route. Ensuite, c’est tard dans l’après-midi, la famille veut passer la nuit dans un motel au bord de la route. Elle est composée de Warren, de sa conjointe Diane incarnée par Diane Mahree et de sa fille Sarah jouée par une petite Jackie Neyman. Ils trouvent une villa minable, tenant lieu d’auberge à la place. Un serviteur visiblement handicapé, Torgo incarné par John Reynolds, les reçoit dans la panique figée, mêlé d’indifférence. Reynolds interprète un Torgo, incroyablement louche, tant que l’on ressent sur son visage de la douleur. Il gesticule incessamment. Cela transforme la scène d’accueil en une expérience froide et bizarre, presque morbide. La famille décide de passer la nuit dans l’auberge. Par la suite, Torgo informe son maître, nommé bien sûr The Master, joué par Tom Neyman, de l'arrivée de la famille de Mike dans leur auberge. Le « maître » est le gourou d’un culte secret. C’est un culte secret où le « maître » et ses disciples vouent une adoration pour un dieu appelé Manos. Ses disciples sont des femmes d’âge mur, que le « maître » surnomme ses 

« épouses ».

Regardez donc le film, si vous voulez savoir le reste du récit, parce que je n’ai pas envie d’aller plus loin. Le bon côté est que Warren a remporté son pari, car il a réussi à produire et à diffuser un film avec un budget minuscule. Il n’a pas garanti que le film allait être bon.

Pour conclure, le seul film d’Harold Warren est véritablement un objet de curiosité pour les étudiants en cinéma, car il démontre tout ce qu’il ne faut pas faire, afin de réussir un film. Pour un public, composé de bourgeois biens nantis, vous allez détester le film copieusement, car il est très underground en apparence. Si vous êtes un critique de cinéma, eh bien vous allez probablement maudire le nom d’Harold Warren, c’est tout ce que je peux dire. Tout compte fait, Manos reste encore divertissant dans toute sa nullité abyssale, tout comme pour Plan 9 from Outer Space d’Edward D. Wood Jr. Pour moi, le film est une expérience inoubliable et il m’arrive de le revoir quelquefois.

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