Intimidation scolaire à l’école de mon neveu et de la bière Guiness


Vendredi dernier, je revenais du travail, la mine renfrognée et patibulaire, dû à ma semaine encore grande de tâches à accomplir dans le merveilleux monde du e-commerce. À vrai dire, je commence à devenir le premier yuppie geek montréalais de toute la famille, si je dois me comparer aux générations antérieures.

 En discutant de générations antérieures, mes grands-parents ou arrière grands-parents, quant à eux, ils avaient consacré leur temps à démarrer des entreprises pour devenir les rois et les maîtres de leur fortune, cependant en région et non pas dans la grande métropole, Montréal et la capitale, Québec. Ils développaient des entreprises autonomes et florissantes en région, que ce soit St-Jean sur Richelieu, le Bas St-Laurent et la Montérégie, ne voulant dépendre d’aucun patron ou ne voulant avoir personne au-dessus d’eux. Moi, j’ai toujours aimé la vie d’entreprise, tout en devenant un singulier workaholic. Pour ceux qui ne comprennent pas les néologismes en « holic », un « workaholic » signifie un bourreau de travail, mais je crois que le mot est simple à comprendre.

Je suis un yuppie, mais par contre, je ne m’habille pas comme tel avec un ensemble de costume en trois-pièces. Quelquefois, c’est juste chemise, cravate et pantalon et rien d’autre ou le plus souvent c’est décontracté : chemise, pantalon, tout en restant sans cravate. Oui, nous le savons, c’est la tenue vestimentaire par excellence du yuppie et pas autre chose. Pourquoi ce serait autre chose vraiment ? On serait toujours à mille lieues de la crédibilité sans un ensemble trois-pièces.

En revenant du bureau, j’outrepassais les vieux voisins, assis ou debout sur leur balcon, beau temps comme mauvais temps. Je crois qu’ils n’ont pas grand-chose à faire. Si je dis que les voisins sont vieux, c’est parce qu’ils sont presque dus pour la retraite, dans le sens légal et non dans le sens qu’ils reçoivent déjà leur pension. L’un est un retraité barbu, perpétuellement assis sur son perron, qui lit un volume ou une monographie quelconque, fumant allègrement de sa pipe. L’autre est un Libanais de taille forte, un avocat selon mon frère, qui n’arrive pas à cesser de fumer à son plus grand dam. Il fume quotidiennement comme une cheminée, soit sur les lieux de sa résidence ou en se promenant de long en large sur le trottoir, mesurant le rythme de ses pas avec la consommation de ses cigarettes.

Son cendrier sur le balcon, se remplit perpétuellement de mégots écrasés, me donnant l’impression d’un monticule beige foncé sur un plateau vert, d’une forte épaisseur. Il est probablement un grand-père dû à son âge, sans être trop vieillissant. Lui, c’est le tabac, tandis que pour moi, cela reste la bière et le vin, nous avons tous nos vices. Ce que l’on en fait, reste notre affaire. L’avocat me saluait timidement d’un mince sourire et je lui rendis la pareille.

Dans ma chambre, je me suis dévêtu rapidement, puisque avoir une chemise et un pantalon sur le dos en été procure une chaleur inlassable et suffocante. Je voudrais bien savoir si un habit agit comme une enveloppe Thermos sur le corps, si l’habit est blanc plutôt que noir. Je me suis installé dans le salon. Je croyais que j’allais devenir tout à fait tranquille, lorsque j’entendis cogner à la porte d’en avant. Non, je n’ai pas encore une sonnette de porte, et je ne veux pas en réinstaller une, car on se fait toujours piller les boutons de sonnerie. Il faudrait les coller avec du stucco, de la Poly Filla, de la Krazy Glue, n’importe quoi merde, afin de plus jamais les voir s’envoler dans la brume, aux mains d’un petit brigand.

« Bon merde, c’est qui à cette heure ? pensais-je. Je peux jamais être tranquille, en me couchant sur mes deux oreilles… Il y a toujours de quoi. » En déverrouillant et en ouvrant la porte, ma sœur, Évelyne et mon neveu de neuf ans, Jean-Christophe Wyatt, se découvraient timidement dans l’embrasure de la porte.
- Allô Andrew, tu vas bien ? Salut mon’oncle ! firent en chœur Évelyne et J.-C.
- Pas trop mal, leur fis-je et mon regard se posa à l’endroit de mon neveu, et toi comment ça va mon petit J.C ? » Sur la fin de cet égard, j’empoignai J.C par la taille pour le monter jusqu’à moi, le saisissant sur mon bras et mon torse.
« Pas trop pire comme toé, fit J.-C, rieur et d’un sourire malin.
- Un bien bon signe, fis-je en lui riant au visage tout en le trimbalant dans le salon.
- Toujours un bien bon signe avec lui, renchérit Évelyne.
- Faudrait que ce le soit pour son âge, fis-je et je déposais J.C sur l’un des deux canapés du salon. Puis, l’école comment ça va ? Ce n’est pas trop dur ?
- Oh je commence à trouver que mon prof est pas mal con avec moé, soupira J.C d’un ton découragé.
- Ben tous les professeurs, que tu sois au primaire ou au secondaire, sont toujours bien exigeants. Ils ne sont pas supposés d’être conciliants, ce n’est pas leur rôle.
- Bien, c’est quoi vraiment leur rôle ? me répondit-il.
- Ils doivent s’assurer convenablement et adéquatement de ton apprentissage dans une école et incarner l’autorité, répliquais-je d’un trait.
- C’est juste ça ?
- Oui, c’est juste ça. Ils s’assurent de ton bien-être, en incarnant l’autorité, sans être nécessairement ton meilleur ami… C’est un peu comme ton père ou moi.
- Ah oui..
- Oui.
- Mais… Mais cette année-ci, il n’y a pas rien que le prof qui est un con avec moé, il y a également les autres élèves là, ronchonnait-il et il se leva pour me rejoindre sur le canapé adjacent, lorsque je lisais le journal tout en discutant.
- Bien ça, c’est une autre paire de manches, que je lui répondis avec lassitude. Est-ce que les autres élèves sont juste cons avec toi ou ils t’importunent. ?
- Oui.
- Ils ne te touchent pas, j’espère ?
- Non.. Bien pas dans le moment.
- Est-ce que t’as eu des grosses chicanes pour n’importe quoi ou n’importe comment ?
- Ouais, mon’oncle, presqu’à chaque jour, me répondit-il comme si toute sa parole reposait uniquement sur des efforts immenses.
- T’en parles pas à ton prof ? Est-ce que ça se passe dans la classe ? interrogeai-je.
- Non, dans la cour d’école.
- Dans ce cas-là, il va falloir que t’apprennes à te défendre que tu sois au primaire ou au secondaire, répondis-je sèchement. T’apprends en ce moment, la réalité des choses que ce n’est pas exactement le monde entier qui veut ton bien et que ce n’est pas vraiment ton prof qui t’apprendra à mieux te défendre physiquement non plus. »

Sur ce point, Jean-Christophe changeait d’air et devenait passablement nerveux. Dans son insécurité, il ne savait plus trop quoi penser.

« Je ne dis pas que c’est facile, mais je te dis que tu vas avoir besoin d’être agressif dans la vie et de ne pas te laisser te marcher sur toi comme un vulgaire paillasson.
- Bien comment…
- Oh, je ne suis pas inquiet. La violence, c’est le propre de l’homme. On nait dans le monde avec ça. On pense toujours que l’on n’est pas vraiment violent, mais on l’est et ceci sans le vouloir. En principe, on est très lâche dans notre agressivité : on choisit de se battre avec les gens qui sont plus faibles que nous. Tu ne cherches pas à te battre avec quelqu’un qui est plus fort que toi, ça n’aurait pas d’allure. Mais si un écolier de ton âge est mieux bâtie que toi ou plus gros et grand que toi, bien il faut que tu te cherches à te protéger pareillement. Un bon coup de pied ou coup de poing dans les couilles pour un garçon, bien ça l’affaiblit pas mal. C’est assez nouveau pour toi, cependant tu vas apprendre à être bien mauvais avec les crétins de ta classe qui te cherchent de la merde.
- Toi, mon’oncle, comment t’as vécu ça ? répondit mon neveu, dont sa nervosité devint de la fascination.
- Moi, lui fis-je et là maintenant à l’égard de mon jeune proche, je commençais à préparer un long discours, comme s’il s’agissait d’une longue histoire de guerre. C’est justement durant mon temps au secondaire où je fis l’entièreté de mes études dans l’école d’un quartier pauvre et très défavorisé d’Hochelaga-Maisonneuve. J’ai découvert à ma manière que c’était vraiment difficile de vivre avec des gros imbéciles de mon âge où force me fut d’admettre que je me demandais si la plupart n’était pas des crétins congénitaux. Bah ! Toutes les écoles secondaires se ressemblent, comme toutes les prisons se ressemblent. Mais même durant ce temps là, ce fut un monde étudiant assez divisé : les élèves riches et les élèves pauvres, les élèves intelligents et les élèves idiots, les élèves gentils et intelligents et le reste de la classe qui devenait un asile. Bref, trente-sept étudiants dans un groupe de foyer, c’est plutôt l’asile tout compte fait. Tout ce grand groupe là se regroupait encore en petites cliques, alors… Je fréquentais les gens, dont j’entretenais une bonne chimie ensemble, cependant, je n’aimais pas tant que cela, le travail en équipe... »

Durant ce tout ce temps là, Évelyne s’était retirée pour aller dans la cuisine afin de nous mijoter quelque chose ou quelque truc et j’en déduisais que c’était du jus, car durant notre discussion j’entendis l’extracteur à jus qui battait son plein dans la pièce au loin. Surtout, je me demandais, si elle ne faisait pas des salades, un coup parti. C’est vrai que dans un sens, une femme dans une cuisine devient carrément la prisonnière de celle-ci, dès qu’elle fabrique quelque chose.

« Qu’est-ce qu’elle fout au juste, elle tient un bar cocktail dans la salle à manger ? » : pensais-je et je réfléchissais presque à voix haute devant J.-C.

« Bon, où-est ce que j’en étais au juste ? continuais-je face à J.C, mon très fidèle auditeur dans le moment présent.
- Tu disais que t’aimais pas le travail d’équipe, conclut Jean-Christophe en voulant m’aider pour reprendre le fil de mes idées.
- Ah oui ça… Mais pour faire une histoire brève, un jour faisant suite à une journée d’école, je me suis fait broyer complètement le nez pour finir avec mon visage qui pissait par le nez cassé, et cela en rentrant chez moi. L’issue de la bagarre était véritablement pour beaucoup moins qu’une niaiserie, parce que ce fut juste un grand imbécile de 6pieds 2pouces qui voulait abattre sur moi, son « règlement de compte » et durant le même jour, j’étais baveux avec lui comme pour tout le monde un peu. Durant cette même époque au secondaire, je fus particulièrement teigneux et abrasif, puis c’était mon âge ou ma « crise d’adolescence » admettons. Cependant, je ne faisais pas chier mes parents avec ma crise mais seulement les autres élèves de la classe, ce qui n’était pas vraiment le moindre des deux maux pour tout dire. Si je constate dans le moment présent, je suis beaucoup, mais beaucoup moins abrasif or je suis simplement fougueux à la place d’être abrasif. Tu sais, J.C., on a des défauts qui deviennent des qualités, ensuite on a des qualités qui deviennent des défauts, et vice-versa.
- Alors t’as perdu ta bataille, fit J.C. démoralisé.
- Oui… On s’en contre-balance maintenant que j’ai perdu, ripostais-je impatiemment, parce que cela ne m’est plus jamais arrivé, merde.. En tout cas, même aujourd’hui, je m’arrange pour que cela ne m’arrive plus.
- Comment tu fais ? fit mon neveu emplie d’interrogation.
- En vieillissant tu vas t’endurcir, tu vas devenir moins sensible et plus agressif. Mais pour moi, j’ai fait des cours de boxe et puis après je n’avais plus peur des autres, parce que je jouais très physiquement au hockey cosom. C’est bizarre, mais des fois, t’as besoin d'haïr les autres comme les idiots par exemple, pour te faire respecter, parce qu’il y a tout le temps des psychopathes, des sociopathes ou des cons dans une classe. Suite à mon incident, je ne suis pas allé à l’école pendant une semaine, et ta grand-maman me conduisait à l’école comme si j’avais cinq ans encore, la semaine suivante.Par la suite, j'ai rentré dans l'école de mon plein gré, à pied même, sans craindre personne. Mais vivre avec des imbéciles à l'adolescence et à l'école, ce n'était pas toujours drôle.
- Grand-môman avait peur pour toi, fit J.C triste et maussade.
- Bien oui.
- C’était vraiment pas drôle, hein ? fit mon neveu juste assez attristé et il se couchait sur mes cuisses et je sentis sa tête et le haut de son torse sur le gras de mes cuisses et de mes genoux. Les mains de Jean-Christophe reposaient sa tête et son visage, et il s’étendait sur le ventre. Comme un réflexe paternel, j’ai glissé langoureusement mes doigts dans son cuir chevelu, tout en m’amusant dans sa coiffure, ainsi que ses longues mèches châtains.
- Oh non… Ce n’était pas drôle. À la place, ce fut tout un choc. Ton oncle, Charles était âgé de 13 ans et moi j’en avais 16 et quand il revint de son école, en me voyant le visage en sang : il pleurait dans sa chambre et il ne voulait pas se faire voir. Je me sentais tout drôle et je ne savais pas trop quoi faire pour le consoler dans sa chambre, car pour tout le monde à vrai dire, ce fut assez troublant. Bien, en vérité, c’était pénible et chagrinant. Même chose pour Évelyne, et elle avait 20 ans à l'époque. Évelyne voulait également me reconduire à l'école dans sa propre auto, quand ta grand-mère ne trouvait plus le temps pour le faire, mais j'ai décliné sa proposition. En conclusion, on a contacté la police et à l’âge de 16 ans, j’ai déposé mon premier procès-verbal de police. J’ai relaté ma version des faits à deux agents, quand ils sont venus chez-moi et l’un des agents a donné à ma mère et à moi sa carte d’affaires. En guise de résultat, ils ont décidé d’ouvrir une enquête dans mon école. L’enquêteur qui séjournait dans l’école, était un vieux monsieur grisonnant et discret.
- Il y a un début pour tout. Tsé mon’oncle, renchérit mon neveu en se revirant sur mes cuisses pour me faire face, tout en étant couché.
- Et comment, fis-je ironiquement. À force de vivre dans ce quartier là, ça devenait presque une habitude. Une habitude que l’on aimerait perdre bien sûr.
- Puis après, il s’est passé quoi ?
- Bien c’est comme je te l’ai dit, fis-je. Durant une semaine.. »

Évelyne rentrât en trombe dans le salon en apportant à bout de bras, un large cabaret ornant des larges verre de jus de carotte, du jus de raisin et du jus d’orange. Évelyne fut éblouissante, tout en transportant les breuvages rafraichissants. Elle déposa lestement le cabaret sur la grande table à café, et nous rejoignit sur le sofa.

« Wow ! Est-ce que j’interromps un grand et vivant débat entre oncle et neveu, fit-elle d’une lumière de joie dans la voix.
- Admettons oui, fis-je nonchalamment. Mais t’as juste à demander à J.C icitte sur mes cuisses.
- Mon’oncle me parle de sa première fois qu’il s’est fait tabassé par du monde de sa classe, fit Jean-Christophe rieur.
- Jean-Christophe, m’as t’assommer ! grondait Évelyne en poussant fortement son index sur le nez de J.-C., tout en étant assise à côté de nous.
- Du calme, c’est vrai ! c’est vrai ! fis-je dans une vaine tentative de la calmer, mais son instinct maternel avait déjà pris le dessus.
- Sois donc poli avec ton oncle ! s’exclamait-elle
- Okay, m’man ! J’ai rien dit de pas correct !
- Ben t’étais pas mal indiscret Jean-Christophe, grondais-je à mon tour.
- Okay ! Okay ! Je m’excuse, je m’excuse Mon’oncle Andrew, fit Jean-Christophe, craignant de ramasser sur la figure une giflée virulente de la part d’Évelyne. D’un côté, si Évelyne commençait simplement de lever la main, je l’aurais empêché dans l’immédiat. On ne discipline pas mon neveu dans ma maison, lorsque c’est moi qui le fait à la place de tout le monde et personne ne doit le faire, évidemment. S’il était trop tard et que les coups pleuvaient sur les têtes des plus dissipés, j’encouragerais de faire la discipline et l’autorité pour les enfants à l’extérieur. »

« Bon bien mon marmot et moi, on parlait ensemble qu’il fallait mieux se défendre à l’école, quand on fait affaire à des mongols de camarades dans une classe, fis-je à Évelyne.
- Ah bon… Pour l’après-midi, il va falloir que je te laisse avec J.-C et je vais revenir le prendre vers 21h00. Qu’est-ce que tu peux lui faire pour
souper ?
- Je le sais tu vraiment ? Des hamburgers avec le steak haché dans le freezer ? fis-je et je détournai mon regard pour constater Jean-Christophe. T’as-tu assez de goût pour ça, toi le morfleux, des hamburgers ?
- Est-ce que t’as du Kraft Dinner ? Il aime ben ça du macaroni au fromage J.-C, fit-elle et elle regarda Jean-Christophe d’un amour pensif.
- Non, moi je n’ai pas neuf ans alors.
- Bon okay c’est correct, fit-elle et se leva du canapé, reprenant une ample sacoche sur la chaise posée dans le corridor, à côté d’un téléphone sur le mobilier et elle prit la direction de la sortie. »

« De toute façon, je ne veux pas que tu fasses ton tannant jusqu’au moment où elle va revenir, fis-je à Jean-Christophe et celui-ci se promenait de long en large dans le salon dans un grand va-et-vient. Les mains cachées dans les poches, on dirait qu’il se préparait à quelques frasques.
- Oh oui, mon’oncle, honneur de scout, dit-il et il me fit un petit salut militaire avec son index et son majeur sur le front.
- Ça ne veut rien dire, et t’as jamais été scout.
- Ben non, mon’oncle, je le suis en ce moment là, engagé dans les scouts.
- Hé, misère…, fis-je et pour moi-même, j’espérais qu’il n’y aurait pas de pédophiles là-dedans, dans cette joyeuse organisation. Viens on va manger…»

                                                                  ***

Nous avions passé à table et il n’y était plus que 20 heures du soir. Moi et le gamin, nous écoutions la télévision et je piétonnais du talon dans l’anticipation de recevoir Évelyne pour me délivrer de Jean-Christophe. Oh ! Il était un bon enfant et l'est toujours, mais quelquefois je ne savais plus trop quoi faire avec lui, véritablement. De toute façon, si Évelyne ne se pointait pas à l’heure prévue, je n’aurais pas eu d’autre choix que de faire dormir J.-C. sur le sofa du salon, parce que j’étais dépourvu d’une chambre d’ami pour l’accommoder, et c’est ce que je ne voulais pas faire. Je voulais qu’il puisse coucher convenablement dans son lit, de toute manière.

Dans le moment même, nous regardions une étrange rediffusion de la très ancestrale télésérie culte de science-fiction Lost in Space. C’était un épisode parmi tant d’autres où le Docteur Smith incarnait à la fois de nouveau un lâche et un imbécile inutile pour l’ensemble de la famille d’astronautes, les Robinson. Moi-même, j’avais le béguin à l’âge de dix ans pour la sublime actrice June Lockhart, qui incarnait la matriarche blondine de la famille Robinson. Ensuite, mes goûts dans la gente féminine se sont raffinés depuis mes premiers béguins.

« Tsé, mon’oncle
- Quoi ?
- Les gens que tu trouvais con au secondaire, est-ce qu’ils sont encore de même ?
- Ah, Jean-Christophe, les gens qui sont des crétins en général, s’ils étaient idiots au secondaire, il y a de grandes chances qu’ils vont l’être durant toute leur chienne de vie, puis mûrir au fait, ça ne changera pas grand-chose pour eux. Ils sont nés con, puis ils vont mourir con.
- Ah, c’est ben rassurant, fit mon neveu et retourna son minois pour fixer le tube cathodique.
- Puis toi, tu vas être brillant à la place, mais tu vas mourir brillant pareil, fis-je avec le sourire.
- Qu’est-ce que tu bois, mon’oncle ? fit Jean-Christophe, car il remarquait que je sirotais mon long verre de bière noire, avec la bouteille de 40 oz de Guinness sur la table à café.
- De la Guiness, déclarai-je.
- Je peux en boire ?
- Non, c’est pas fait pour toi, en aucun cas.
- Pourquoi ?
- C’est juste ben mauvais pour toi, puis je n’ai pas envie d’en discuter davantage, fis-je et mon ton voulait clore le sujet. D’un coup, je détournais mon regard vers la porte d’entrée.
- Calvaire, elle vient tu ta mère ? m’exclamai-je.
- Y’est pas encore neuf heures, mon’oncle. Je peux en boire de la Guiness pareil, même si c’est ben mauvais pour moi.
- Okay, mais ferme tes yeux. Je vais aller dans la cuisine t’en chercher un, mais tu gardes toujours tes yeux fermés.
- Yes sir, mon’oncle, jubila Jean-Christophe. »

Je vais dans la cuisine et en ouvrant le frigo, je prends une bouteille de Perrier. Je cours jusqu’au salon.

« Est-ce que t’as encore tes yeux fermés ?
- Oui, oui fit-il et il était assis sur le pouf qui servait à reposer les pieds dans le salon.
- Bon voilà ! »

Il avait encore les yeux fermés et je lui décapsulais sa bouteille d’eau minérale Perrier, et je lui tendis la bouteille dans la main. Il but une gorgée et recracha immédiatement.

« Hey ! C’est pas buvable, ça là ! fit mon neveu dans sa surprise de se faire berner comme un jeune loup.
- Oui, t’as vu l’une de mes manières pour guérir de force l’alcoolisme des freluquets, fis-je d’un sourire stricte. Là, passe moi la serpillière dans le salon, puis écoute la télévision en attendant ta mère. Je ne veux plus que tu me parles de boisson.
- Okay, okay… »

Évelyne était venue chercher Jean-Christophe et elle avait trente minutes de retard. Elle s’est excusée en me disant que le trafic était aberrant, même à 20 heures, à cause d’une borne incendiaire qui a explosé au milieu de la voie, ce qui a fermé deux rues.

« Hostie, tout part en miettes icitte. Avant c’était l’aqueduc, la plomberie, il manque juste les transformateurs qui explosent.
- Oh oui, c’est l’enfer, fit-elle compréhensive. J.-C n’était pas trop de trouble ?
- Ah non, je sais toujours comment m’y prendre avec les marmots.
- Bon bien, t’auras juste à te marier d’abord, fit elle avec un sourire goguenard.
- Icitte au Québec, se marier, ce n’est pas super évident. Il y a beaucoup de grenouilles, de tarentules, de veuves noires, de crotales et de couleuvres à embrasser avant de trouver une princesse.
- Eeeesshh !
- Ce qui est la même chose pour les femmes, on s’entend. Mais pour nous les hommes, c’est beaucoup plus éprouvant.
- Ben reste positif, fit-elle et honnêtement elle ne savait plus trop quoi me dire. Franchement, je ne voulais pas trop savoir ce qu’elle pouvait ajouter.
- Ouais, regarde moi aller, vroum ! ironais-je. »

Évelyne partit avec l’enfant, tandis que je la contemplais au dehors sur le balcon, en compagnie d’autres voisins assis dans des chaises berçantes, spectateurs au départ de ma sœur. Elle s’installa dans sa fourgonnette bleue Chevrolet, attachant sa ceinture et celle de mon neveu sur son siège passager et le véhicule démarra dans la hâte. Une autre journée et une autre soirée vaporeuse de gardiennage, maintenant je crois que cela va devenir une habitude.

FIN

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