Ésimésac : La « légende » chez Fred Pellerin
Nicola-Franck Vachon |
Dans toute l’entreprise de construire son univers folklorique à partir du néant, l’auteur veut d’une certaine façon poursuivre l’œuvre des grands auteurs du terroir, tels que Louis Hémon, Albert Laberge, Germaine Guèvremont, Félix-Antoine Savard et Rodolphe Girard. Il le fait assez bien pour ses spectacles de conte oral, mais la transition du conte oral vers le cinéma ne se fait pas très bien pour lui. Pellerin procure un mysticisme au travers des qualités exceptionnelles de ses protagonistes de légendes qui nous restent encore inexpliqués, si on prend l’exemple d’un manque d’ombre et de la force prodigieuse d’Ésimésac, le personnage de Nicola-Franck Vachon.
Pellerin, à sa manière, veut renverser le folklore du terroir établi par Hémon, Savard et Guèvremont pour établir son propre noyau de contes et de légendes dans le village de Ste-Élie-de-Caxton. Or, ce qui est déplorable, c’est que les personnages sont écrits de façon superficielle, en tendant vers une innocence béate pour l’uniformisation de la personnalité et du caractère des personnages. Les personnages principaux présentent un minimum de bon sens rassi et de complexité, tandis que le reste des personnages devient vide de tout.
Pellerin fut animé sans doute par une énorme passion de son village natal, qu’il s’est consacré à l’immortaliser au travers de ses fables. Cela est louable certes, or Pellerin devrait comprendre que les fables ou les contes répondent aussi à une certaine logique, qui serait la logique d’un monde fictif, en établissant au monde fictif, des règles propres et strictes. On doit établir les règles explicites et strictes qui régiront ce monde que l’on veut inventer, ce qui n’est pas le cas pour Ésimésac, car les merveilleux phénomènes fantaisistes nous arrivent sans grande explication et conséquemment, on décroche totalement de ce dit univers. Il n’y a pas la logique d’un monde qui sous-entend la cause des phénomènes qui s’offrent à nous et on nous laisse dans le noir.
Pour cela, l’écriture de Pellerin est fortement paresseuse, car on perd son temps si on ne se donne pas la peine d’expliquer la logique de son histoire. Si l’auteur ne le fait pas, pourquoi moi-même comme spectateur, devrais-je le faire ? Je n’ai pas la responsabilité de prêter du sens à l’univers de Fred Pellerin, tandis que lui-même ne s’applique pas à le faire.
Ce fut probablement l’un des premiers scénarios, dont Pellerin aurait dû s’abstenir d’en faire l’adaptation au grand écran, parce que somme toute, ce n’était pas exactement un projet qui en valait la peine. Maintenant, on en voit le résultat final, et ce n’est rien de plus qu’un conte merveilleux, de par lequel on lui aurait amputé la logique et la profondeur pour l’intrigue et les personnages. Le scénario de Pellerin ne détient aucune espèce de logique, et même pour un film pour enfants, cela en devient effarant. Un enfant de huit ans qui serait un spectateur, décroche du film aussi dans son ennui, parce qu’il va essayer de retrouver du sens dans l’histoire, concernant les personnages.
L’intrigue du film est facile à suivre pour un public d’enfants, parce qu’il est aussi très simpliste. La légende de Pellerin se succède graduellement dans son intrigue dans une bonne causalité, mais elle devient horrible pour un spectateur adulte, qui serait le père de l’enfant. Le dialogue farci de boutades de Pellerin pour les villageois de Ste-Élie-de-Caxton, peut nous sembler mignon de premier abord, mais elle finit par nous tomber sur les nerfs progressivement, parce que ce n’est ni brillant, ni spirituel. On développe l’impression, de par le lourd dialogue, qu’aucun personnage de Pellerin respire une quelconque intelligence , ce qui est néanmoins très désolant.
La réalisation brillante de Luc Picard est ce qui arrive à sauver le film à moitié, afin que son œuvre devienne une expérience presque merveilleuse. Mais si le scénario aurait tombé dans les mains d’un autre réalisateur qui travaillerait sur le film comme simple tâcheron technique, le résultat aurait été tout autre, et on n’aurait pas la virtuosité de la mise en scène que seul Picard peut contribuer. Il est dommage cependant de constater qu’il veut se limiter à l’œuvre de Pellerin, tandis que je reconnais en lui le talent latent d’un Marc-André Forcier, quand il témoigne un goût pour le surréalisme dans la mise en scène, sans trop miser sur l’extravagance. Certes, je n’ai pas encore visionné son premier film L’audition, réalisé en 2004, mais il est possible que son premier film restera meilleur que ce dernier scénarisé par Pellerin.
Nicola-Franck Vachon dans son premier rôle éponyme d’Ésimésac, n’a pas fait ressortir tout l’ampleur de son talent, et s’il veut démontrer son talent, il contient autant de charme que du bois creux. Il n’arrive pas à rendre son personnage réaliste et crédible, même pour le contexte d’une légende québécoise. Gildor Roy livre une performance splendide dans son rôle du forgeron, mais il ne peut donner le mieux de lui-même dû à la pauvreté scénaristique. Luc Picard interprète trop sobrement son rôle avec un certain désintérêt, et René-Richard Cyr n’accorde aucune attention à ce qu’il fait. C’est aussi un problème qui afflige le reste de la distribution, parce que si on donne aux acteurs, un scénario atroce, ils tâcheront de livrer une performance qui leur semble potable, sans rajouter davantage. En conséquence, la distribution nous offre une performance sommaire, dont je pourrais moi-même la nommer comme une performance parfaitement «facturable».
Si vous voulez voir un bon film pour enfants, je vous recommanderais de visionner en famille, Willy Wonka and the Chocolate Factory(1971) de Mel Stuart, et les classiques québécois : Roger Cantin, Matusalem(1993) et André Melançon, La Guerre des Tuques(1984). Trois bons films bien écrits et bien réalisés qui ne prennent pas l’enfant qui regarde, pour un nigaud, parce qu’en ne trouvant rien de bon et de substantiel dans Ésimésac, on trouvera de la qualité ailleurs.