L’affaire Rémy Couture – Après-coup du Verdict
Ce fut une affaire à la Cour qui me dégoûtait de semaine en semaine, à cause de l’absurdité d’un procès pour un maquilleur et designer d’effets spéciaux qui est trop performant, tellement brillant que cela marche contre lui. Maintenant, j’écris cet article, tout en laissant de côté le second jet de mon roman qui s’étire sur 157 pages, car ma révulsion, pour cette malheureuse histoire, est à son summum.
Oui, un second jet, parce qu’il faut se réécrire, naturellement si on veut que le livre soit à son meilleur, comme toujours. Pourquoi suis-je si répugné ? Probable aussi que je suis un critique et auteur, et maintenant un monteur vidéo pour le Web qui veut joindre les deux bouts, en tant que pigiste.
Rémy Couture était sur la sellette, parce qu’il est un maquilleur de cinéma extrêmement compétent, allant même en déduire que son travail révèle l’étoffe d’un génie sans précédent au Canada. Malheureusement, son génie dans sa profession lui entraîna des charges de corruption des mœurs, parce qu’un internaute en Allemagne a jugé que ses vidéos, probablement d’une violence extrême quoique fausse, étaient des films snuff.
Qu’est-ce qu’un film snuff au juste ? Un film snuff est un film, à grande distribution ou une vidéo privée d’une personne, qui est supposée mettre en scène un meurtre réel, où une personne sans trucages, ni effets spéciaux, tue une autre véritablement, et on se décide de filmer le dit meurtre. Le meurtre est volontaire par les producteurs et les réalisateurs. C’est macabre et grotesque bien sûr de vouloir tourner un vrai meurtre, mais c’est une phobie récurrente que l’on retrouve sur le Web, la peur de trouver par accident dans l’immensité de l’Internet, un film snuff. Mais ce n’est pas une peur qui date d’hier non plus. C’est un engouement qui s’est créé à partir des tueurs en série qui voulaient mettre en ligne des vidéos véritables de meurtre, depuis Luka Magnotta au Canada. Alors, la peur s’est amplifiée considérablement, laissant croire que chaque vidéo sur le Web avait une vérité documentarisante, c-à-d chaque vidéo est un documentaire et on croit aveuglément à ce que l’on voit, comme la sainte évangile. Ce qui est désolant, c’est que l’on n’a plus de recul et de sens critique face au contenu regardé.
Cela ne date pas d’hier, puisque durant les années 80, il existait une série de films intitulée Faces of Death de John Alan Schwartz, qui fut une série de « faux-documentaires », ou des mockumentaries, mettant en scène de façon exploitative, les morts diverses et saugrenues de personnes ou de pauvres victimes. Chaque scène représentait la mort d’une personne, soit par un accident freak et gore, la chaise électrique ou il tombe en bas du 80e étage, etc. Or les films contenaient du matériel véridique et documentaire d’autopsies, de suicides, d’accidents et d’exécutions. Dans un cas médical, on voit quelqu’un se faire cryogéniser, mais je vous en passe les détails. Certaines scènes de mort étaient fictives et mises en scène, et d’autres non. Donc, la réalité et l’imaginaire se mélangeaient dans la série de films. Assez idiot comme concept, il faut admettre, mais Faces of Death démontrait des meurtres ou des suicides fictifs, conçus dans le plus grand réalisme possible. Les producteurs, durant ce temps là, devaient aussi s’évertuer à prouver que les films n’étaient pas des films snuff, en révélant les « making of » de chacun des films, pour les scènes fausses. Pour les scènes réelles, ils devaient encore se défendre, parce que ça se justifie assez mal de prendre du matériel documentaire divers de suicides et d’accidents pour le bienfait d’un film. Mis à part, le premier Faces of Death, cela n’a pas empêché John Alan Schwartz de produire et de réaliser deux autres films, Faces of Death 2 et Faces of Death 3. Même concept, et on vous épargne les scabreux détails. Schwartz, pour son procès, se devait de prouver que les scènes fictives étaient réellement fictives en reconstituant les effets spéciaux à la Cour. En ce qui concerne le matériel documentaire d’accidents freaks et des suicides filmés, rien n’était planifié comme défense en bref. Comment se défend-on vraiment ? On prône une valeur éducative pour le matériel documentaire, issu des films ? On éduque les croque-mort et les gens à la réalité de la mort ? Tout ce que l’on sait, est qu’il y a un public-cible pour cela, si on questionne les producteurs, à propos de leur fascination du sujet.
Imaginez que c’était une série au cinéma qui existait pendant les années 80, avant l’Internet comme on le connait aujourd’hui. Et non je ne peux vous recommander ces films-ci, à moins que vous avez une morbide fascination pour la mort.
Ruggero Deodato, le réalisateur italien du film de néfaste réputation, Cannibal Holocaust (1980), devait aussi se défendre en Cour, tout autant que le designer des effets spéciaux de cette époque, puisque l’on croyait tellement au film comme étant un documentaire. En somme, on croyait qu’une actrice était vraiment morte, empalée par une longue tige de bamboo de par en par. Le responsable des effets spéciaux devait se défendre, en reconstituant l’effet spécial à la Cour, lors de son procès. On croyait que les trois acteurs, jouant les trois scientifiques en expédition, étaient véritablement morts dans le film. Les trois acteurs devraient venir en Cour, afin de prouver qu’ils n’étaient pas morts.
Deodato avait des charges qui reposaient sur lui pour la cruauté envers les animaux, non seulement pour le meurtre supposé des acteurs, puisque l’on voit réellement dans le film, une tortue marine qui se fait tuer sauvagement par l’un des acteurs et un singe qui se fait décapiter devant la caméra. Deux scènes extrêmement repoussantes quand on sait quelles sont vraies, mais Deodato a accepté de filmer la « chasse », parce que les animaux, comme la tortue et le singe, étaient la nourriture première pour les tribus. Or maintenant, Ruggero Deodato exprime son plus grand regret d’avoir fait le film, en incluant la boucherie des animaux. Il souhaite de son plus grand remord, de ne l’avoir jamais fait. Cannibal Holocaust reste encore un film banni dans quelques pays, mais il est relativement facile de se le procurer maintenant.
Fait étonnant, lorsque Sergio Leone, le célèbre cinéaste de westerns-spaghettis, a visionné le film, en étant invité pour sa première, il fit une lettre à Deodato, lui faisant part de sa réaction :
«Dear Ruggero, what a movie! The second part is a masterpiece of cinematographic realism, but everything seems so real that I think you will get in trouble with all the world.»
Ça veut tout dire non ?
C’est ce qui explique que maintenant les artisans du cinéma, tout comme les grands maquilleurs hollywoodiens, Rick Baker, Tom Savini, ou d’ici, Rémy Couture, doivent choisir leur projets uniquement pour la télévision et le cinéma. Lorsque c’est un vidéo de meurtre trop bien fait par des designers d’effets sur le Web, on croit déjà à un film « snuff » et non à de la fiction. Il faudra peut-être mettre un disclaimer sur le site Web de son portfolio numérique : «Ceci est de la fiction. Tous les personnages sont imaginaires, et la moindre ressemblance entre des personnes vivantes ou décédées ne serait qu’une pure coïncidence. Arrivez en ville, parce que personne n’est vraiment mort.» Lorsqu’ils veulent choisir leur prochain projet, ils devront discuter de la confection des effets spéciaux et du maquillage dans les « making-of » pour les spéciaux des DVD. C’est chiant, mais c’est cela. Il faudra dorénavant se protéger de la bêtise humaine des autres.
Mais joie de joies pour le monde des arts, Couture a été acquitté et demain reste un autre jour, en tout cas pour lui . Sans apocalypse des Mayens.