Argo : Affleck et son bon thriller

John Goodman, Alan Arkin et Ben Affleck

Au début de la semaine, j’avais le choix de visionner mon premier film du Festival du Nouveau Cinéma à Montréal, en dévorant l’adaptation de Simon Lavoie de la célébrée nouvelle d’Anne Hébert, Le Torrent, à la salle Fellini de l’Ex-Centris. En particulier, lorsque j’ai lui moi-même la nouvelle ou le roman d’Anne Hébert, j’ai abandonné le livre vers sa cinquantième page, parce que la folie et le misérabilisme des personnages me rebutaient néanmoins. Reste à savoir, s’ils me rebutent encore, à force de ne pas lui avoir accorder une deuxième lecture. Jusqu’à maintenant, je n’avais pas encore lu les autres classiques d’Hébert : Kamouraska, Les Fous de Bassan, Les Chambres de Bois. J’ai exprimé une tentation sur Kamouraska, mais la confusion du livre s’arrangeait pour être son propre désœuvrement. C’est la confusion des flashbacks d’une héroïne qui n’arrive pas à faire ressortir une histoire munie de cohérence et de cohésion nécessaires. L’histoire se perdait dans les flashbacks et on ne situait pas le présent narratif de Kamouraska, jusqu’à ce que l’on s’aperçoive que le « présent narratif » du livre est lorsque le personnage principal Elisabeth D’Aulnières se retrouve au chevet du deuxième mari mourant, un dénommé Jérôme. Pour moi, ce fut la raison que j’avais pour m’en détacher, je ne sais pas vraiment pour vous parce qu’il est probable que vous appréciez Kamouraska. Le Torrent était probablement le meilleur des livres d’Hébert, car la nouvelle était la plus logique au niveau de la narration et de l’intrigue, malgré qu’elle soit très misérabiliste. En guise de résultat, vu qu’il était devenu trop tard pour accorder une chance à Lavoie, je l’ai accordé à Ben Affleck pour sa première expérience en tant que réalisateur, faisant suite à son oscarisation pour son travail de co-scénariste avec Matt Damon, pour le film Le Destin de Will Hunting. Un film qui a également valu le Lauréat d’un Oscar pour Meilleur acteur dans un second rôle à l’égard de Robin Williams.


Je ne peux pas dire que j’ai regretté mon choix par ailleurs, parce que le film était un bon divertissement  pour un premier effort d’Affleck comme réalisateur. Il démontre avec une certaine excellence, ses compétences de réalisateur afin de vouloir reposer tout le suspense sur le passage des employés de l’Ambassade à l’aéroport de Téhéran face aux douaniers iraniens afin d’embarquer dans l’avion, sans se faire cribler de balles. Affleck, dans sa démarche narrative, a opté pour le regard du pays sauveur des États-Unis en relatant l’histoire d’Antonio Mendez, un espion de la C.I.A, qui a voulu faire une fausse production d’un film nanar en Iran, afin de libérer les otages. C’est une tendance très récurrente dans le cinéma classique européen et hollywoodien, comme David Lean qui produisait lui-même l’épopée des grands soldats Américains et Britanniques combattant contre l’ennemi du péril jaune, dans Le Pont sur la Rivière Kwaï. Certes, c’est devenu vieux comme le monde, mais dans Argo, Affleck s’impose davantage comme le héros de l’épopée d’espionnage dans le personnage d’Antonio Mendez, plutôt que de Victor Garber, un acteur Canadien qui interprète l’Ambassadeur, Ken Taylor. Pour mieux situer le contexte, tout cela se passe durant la crise d’otages de 1979 entre l’Iran et les États-Unis. Des révolutionnaires iraniens attaquent l’Ambassade américaine à Téhéran, en sautant par-dessus son grand portail, dans le but de l’assiéger. Le personnel de soixante diplomates américains de l’Ambassade avec des Iraniens désirant obtenir des Visas, se retrouvent piégés dans un énorme guet-apens. Les soixante employés se retrouvent pris au piège par les militaires islamistes, durant une longue prise d’otages s’échelonnant sur 444 jours, soit presque deux ans. Le fameux nombre de six diplomates du personnel trouve refuge dans l’Ambassade canadienne, où le bâtiment se retrouve à proximité de l’édifice de l’Ambassade américaine. Kenneth Taylor, l’Ambassadeur canadien et interprété dans le film par Victor Garber, leur porte secours en les réfugiant pour les cacher, jusqu’à l’arrivée d’Antonio Mendez, un agent de la C.I.A qui s’occupe de leur retour sauf au pays en les faisant passer pour des citoyens canadiens, et aussi en tant que membres d’une équipe de tournage d’un film bidon de séries B, Argo.


Affleck dégage beaucoup d’ambition avec son projet. À sa manière, il voulait devenir un John Huston qui avait des talents tout autant géniaux d’acteur que de metteur en scène. Cependant, il démontre un talent adéquat afin d’incorporer un style nouveau dans la pratique de la réalisation, qui est suffisant pour se démarquer du lot. Toutefois, il détient un flair incomparable pour la direction d’acteurs. J’aime sa manière d’incorporer les story-boards fictifs ou celui du film dans les images du film lui-même par une animation de compisiting.


La belle et compétente scénarisation de Chris Terrio, en faisant l’adaptation du livre d’Antonio J. Mendez, The Master of Disguise, pouvait expliquer le rôle minimal de Ken Taylor dans le film, lorsqu’en réalité durant la crise d’otages, son rôle était nettement plus grand. Il est vrai, mais en somme on ne réduit pas l’importance de ses actions, parce que l’on adopte Tony Mendez comme focalisation du récit. Si c’était un film canadien, le récit se focaliserait sur Ken Taylor en explorant tout son rôle, mais vu que c’est un film américain, on assiste nettement au contraire. Pour cette raison, Affleck adopte la perception du pays américain juste et sauveur, tout comme David Lean adopte la perception du pays de la Grande-Bretagne juste et sauveure, voulant rendre plus épique possible l’aventure, dans les films Lawrence d’Arabie et Le Pont sur la Rivière Kwaï. Somme toute, on n’invente rien et pourtant cela est resté le cinéma classique. Terrio arrive à nous bâtir un suspense dans un aéroport, tout en mélangeant le théâtre de l’absurde des films bidons de séries B ou Z et la réalité franche et brute de l’historique crise d’otages.

Affleck et Victor Garber, celui qui interprète le courageux Ambassadeur Ken Taylor, n’émanent pas à l’écran une excellente chimie ensemble. Or, ils livrent chacun de leur côté, une performance sommaire et retenue. Garber ne livre pas le meilleur de lui-même, tout comme Affleck. Ben Affleck est excellent comme acteur, mais dans ce premier film qu’il réalise, il interprète avec peu de recherche Tony Mendez.

Alan Arkin et John Goodman interprètent des rôles de soutien de façon très solide, au point de faire éclipser les performances d’Affleck et de Garber. La distribution des six otages rescapés de l’Ambassade américaine, est excellente. Tate Donovan, Kerry Bishé, Clea DuVall tout comme les autres acteurs Scoot McNairy et Rory Cochrane ont livré une performance splendide, trahissant dans la mesure mes attentes parce que le rôle d’un otage n’est pas le meilleur au monde.

Affleck, pour sa première expérience en réalisation, a réussi à produire un bon et efficace thriller d’espionnage, sans devenir pour autant un film d’aventures grandiose comme pour du Lean. Il se donne la mission de faire une révision historique, sans chercher nettement à l’embellir inutilement d’artifices ou par un tuilage d’intrigues dans le scénario, comme on le retrouve dans le cinéma courant et dominant, surtout aux États-Unis. Il est envisageable que Chris Terrio obtienne une nomination aux Oscars pour la catégorie Meilleur scénario, issu de l'adaptation du livre de Mendez.

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