Laurence Anyways: L'oeuvre supérieure de Dolan

Photo: Édouard Plante-Fréchette, La Presse



En allant au cinéma



Je voulais m’abstenir d’aller au centre-ville de Montréal pour un long lapse de temps. Étant donné que je suis une créature des sorties nocturnes dans la grande ville, c’est l’enfer pour moi, suite aux manifestations de nuit qui se poursuivent sur une base quotidienne. Je ne veux point me priver de toutes les nouvelles avenues culturelles, agréables à découvrir durant la fin de semaine. D'autant plus que je suis un conseiller quelconque, attenant aux sorties culturelles. Or, en observant les manifestations se déroulant en plein cœur de Montréal, je me pose sérieusement des questions. Des questions qui vont dans le sens de « Bon, qu’est-ce que je vais faire pour me rendre à la salle de cinéma en un seul morceau ? Y-a-t-il encore des manifs ? Est-ce que le champ est libre ? Dois-je me préparer pour le bataillon, si je veux aller au centre-ville ?» Oui, des questions de cette nature, car si je veux me diriger au Cinéplex Odéon en plein cœur du Quartier Latin, il me faut penser que la majorité des manifestations se déroulent sur les coins de St-Denis et du Boul. de Maisonneuve. Habituellement, si je désire observer des films étrangers, je vais toujours au Quartier Latin.


Lorsque mon film se termine et que je sors du cinéma de la rue Émery, j’ai toujours cette appréhension de me retrouver pris en souricière dans une manifestation étudiante avec la force policière toute azimut. «Hé me***!», me serais-je dit. Depuis deux mois, la rue St-Denis est devenue le terrain de jeux par excellence des manifestants. On essaie de sévir sur eux plus que jamais, mais aux mêmes endroits, ce qui les transforment en scènes-clés d’un théâtre de la révolution. Oui, c’est inconfortable, mais serais-je pris en sandwich entre Arnachopanda, la Banane Rebelle et l’Ange de la révolution? Sans blague, on aurait dit que je nage dans l'univers de John Waters. Tout ce qui manque, c'est le télétubbie rouge Po, qui serait contre la hausse visiblement. Ce n’est pas que je me plains surtout de leur compagnie, parfaitement le contraire, je trouverais cela enrichissant et agréable de discuter avec eux. L'Arnachopanda et moi, nous pourrions discuter ensemble des grandes œuvres de Platon, Criton, L’apologie de Socrate et La République. La Banane et moi, nous pourrions parler de sculpture et de Giacometti, tandis que l’Ange, quant à elle, eh bien elle me caressera de ses baisers mouillés aux joues. Ce ne sont pas véritablement les étudiants qui me font peur, c’est justement lorsque la manifestation tourne au vinaigre et que tout devient possible, même une arrestation de masse. Quand ça se dégrade au vinaigre, on se fait hurler à tue-tête par l’escouade d’intervention jusqu’à la prochaine embouchure du Métro dans sa charge: « Bouge ! Bouge ! Bouge ! Move!» On risque le matraquage inutile en perdant 25% de sa boîte crânienne ou on risque de perdre les yeux, les oreilles et la mâchoire par une grenade assourdissante. En guise de résultat, je me retrouverais seul au beau milieu des inhumanités. Non, mais quel temps de plaie. Ne voulant pas craindre des débordements de foule, j'ai finalement opté pour le cinéma de mon quartier. Une chance qu'il existe toujours, n'étant point pulvérisé par des bulldozers à chenille.

Est-ce qu’il faut remarquer davantage que le climat social est exécrable au-delà de la reconnaissance dans la grande ville ? D’ailleurs, il y aura tout un tourisme à sauver en lui redorant l’image, ce qui ne sera pas vraiment une mince affaire. Pour créer une nouvelle attraction à La Ronde, est-ce que l’on fait un manège où on inclut un touriste dans une manifestation étudiante, un peu comme le Volcanozor de La Ronde ? Ce serait super, parce que ce serait comme un manège de la Universal Studios, en Floride. Cependant, un touriste américain sait bien se protéger et il possède une grande résilience. Je n'ai aucun doute là dessus et oui, je crois que l'on peut dénuer l'ironie de mes propos. Je dis cela, parce qu'après tout nous ne sentons pas que les bonnes vibrations viennent vers nous. Québec demande une période d'accalmie aux manifestants? Dieu, laissez-moi rire. On peut bien en demander une, lorsque l'on ne veut pas régler une crise sociale en choisissant les moyens nécessaires. Ah! L'orgueil précède la chute, comme on dit...



Melvil Poupaud (Lawrence Allia) Photo: Paris-Match - Cannes

La critique


Il ne fallait pas chercher plus loin, c’est ce dernier film de Dolan qui est la Palme d’Or de Cannes pour cette année-ci. Lorsque je mets Laurence Anyways dans tout le corps de sa filmographie, il parvient à anéantir ses œuvres antérieures, Jai tué ma mère et Les amours imaginaires. L’écriture et la réalisation sont totalement différentes. C’est pour ce dernier film que Dolan arrive à prendre une direction dans son esthétique et il arrive à nous produire une prodigieuse poésie visuelle qui n’a pas été constaté dans le cinéma québécois depuis Jean-Claude Lauzon.

Une poésie visuelle chez Dolan dans la mise en scène qui s’inspire largement d’autre part des états d’âme des personnages. Il emprunte beaucoup de codes cinématographiques d’un nombre de grands cinéastes, mais plus particulièrement je pouvais reconnaître les styles de Sam Mendes, David Lynch, Paul Thomas Anderson et Léos Carax. Or, Dolan est arrivé à se trouver un style individuel, sans verser inutilement dans le maniérisme et le pastiche. De plus, ce qui fait une coquetterie d’auteur, c’est que Dolan réutilise une scène de propriétaire d’un bloc à logements incarné par son père Manuel Tadros. Le proprio explique au protagoniste de ses films, décrivant en moult détails les pièces et les recoins de l’appartement.


Le film est tellement au-delà d’une certaine excellence que le rapport de qualité avec ses œuvres antérieures n’est vraiment pas le même. On ne peut comparer ce film-ci avec les deux autres films précédents. D’une façon surprenante, Dolan est devenu d’une puissance inattendue à l’endroit des critiques et du public, dans la question de l’écriture scénaristique. Il m’est arrivé de me poser les questions suivantes: « Est-ce que Dolan est vraiment l’auteur ? Est-ce que le scénario a été jugé par d’autres auteurs auparavant et ont-ils contribué ? » Si l’auteur reste complètement Dolan, eh bien c’est toute une évolution. Je me souviens néanmoins d’avoir détesté J’ai tué ma mère pour ses importantes lacunes ou manques dans son écriture scénaristique, concernant les personnages. De plus, la réalisation fut moyenne, manquant de concentration, insérant des plans aléatoires ne donnant pas de sens désiré à J'ai tué ma mère.

Dolan explore toutes les conditions possibles de la passion amoureuse dans un couple, où l’homme cherche à devenir une femme. Nous voyons dans une immense recherche et en scrutant au moindre détail, l’évolution de ce couple vivant dans une impasse puisque Frédérique Bélair, le personnage de Suzanne Clément, éprouve seulement le désir d’aimer un homme. Ce fut la plus grande histoire d’un amour impossible qui n’a jamais été écrite depuis longtemps, et Dolan l’a réalisé dans un brio complet. Il n’y a pas la moindre tare dans la construction des personnages et de l’histoire. Tout nous transporte et nous élève de notre siège pour nous démontrer l’inconcevable de cette relation amoureuse. Étonnamment, Dolan est brillant pour nous construire des personnages magnifiques, attachants et surtout réels. Pour ce film, on aurait dit que Dolan a réussi à canaliser le talent d’un calibre énorme, soit celui de Sidney Howard. Comme on peut le constater, on ne peut s’empêcher de devenir dithyrambique lorsque l’on veut en faire sa critique, car la qualité est bien effectivement délirante.

Les deux films précédents ne furent que des exercices et Laurence Anyways est littéralement l’œuvre qui deviendra sa consécration.

Le talent de Dolan se trouve aussi dans sa direction d’acteurs, car il arrive à faire ressortir des performances extraordinaires à partir d’acteurs, qui sont néanmoins excellents. Melvil Poupaud et Suzanne Clément sont doués à réduire l’écran sous forme d'un brasier ardent, tellement que cette chimie ressentie nous est surprenante. Suzanne Clément se mérite le droit de remporter le prix Second Regard pour la meilleure actrice et tous les prix possibles, puisqu’elle est absolument géniale. Elle dépasse certainement toutes nos attentes, étant sous la mise en scène de Dolan. Pour des acteurs en formation dans une école de théâtre, ce film représente pour eux une institution complète, car ils peuvent apprendre par les performances des acteurs et comment jouer sublimement le vrai visage de la vie de couple. C’est probablement l’un des films qui la définira comme actrice, et c'est l'orgueil de son C.V. Melvil Poupaud nous construit un rôle intouchable, magnifique et saisissant qui perdurera, enfin je crois, dans le cinéma français et québécois. Il est incroyable et émouvant en tant que le Lawrence éponymique et parvient à donner une touche de dignité qui ne s’est probablement jamais vu depuis les trente dernières années.

C’est un chef d’œuvre total et il faut que vous vous procuriez ce film dans votre collection dès qu’il sortira. Le gros problème est que c’est un film qui n’a pas été nominé pour la meilleure réalisation, ni le meilleur scénario. Dolan a tout simplement reçu une nomination dans la catégorie Un Second Regard, et c’est loin d’être assez. Melvil Poupaud n’a pas remporté un César pour meilleur acteur et c’est possiblement le meilleur rôle de sa carrière.

9.0*/10


M.L

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