Un premier concert de casseroles

Photo: Steve Deschênes - Le Soleil

La limitation de la liberté n'est justifiée que quand elle est nécessaire à la liberté elle-même, pour éviter une atteinte à la liberté qui serait encore pire.
-John Rawls, théorie de la justice sociale


C’est à cette heure festive d’une soirée urbaine dans un quartier ouvrier qui jadis était si calme et tellement sans histoire, que la colère d’un monde extérieur ne l’aurait jamais rejoint. Un monde extérieur qui vivait le déchirement entre le rouge et le vert. Mon petit quartier a voulu lui-même perturber sa quiétude mettant un terme définitif à son apathie, enchaînant son fameux concert de casseroles pour une quatrième journée consécutive. De ma curiosité propre, j’ai voulu explorer la dédale des rues et des avenues, tout en y apercevant des jeunots et des ainées qui tambourinaient leurs casseroles et leurs poêles de téflon sur leur balcon. Un nombre de passants se groupait au coin des rues, constitué de familles du voisinage.


Les familles s’improvisaient musiciens de percussions, tonnant en cadence les marmites et les plateaux effilés d’aluminium. En déambulant encore sur les trottoirs, par un étrange hasard, je vis des jeunes filles de 16 ans qui couraient au trot les rues du quartier pauvre. Empoignant de leurs mains frêles une louche et une poêle portables, elles s’amusaient dans une vive gaieté à ameuter le quartier parmi d’autres manifestants au même pas de course. À un certain moment, je vis un garçon, d’à peine douze ans sur son terrain, s’exerçant de tout son saoul sur un ensemble de batteries. Comme le jazz, il improvisait allègrement son rythme de coups, modifiant le tempo à toutes les trois secondes.


À la vingtième minute, un calme perceptible regagna le quartier et tout redevint dans le gris de l’ennui, ce qui fut son habitude régulière. Le retour à la normale fut de courte durée, puisqu’un large groupe de manifestants traversait déjà l’intersection de la rue de mon appartement. La foule bigarrée avait à la portée de la main sa louche ou sa cuillère de bois, et sa petite poêle de fonte. Elle improvisait un air sans musicalité et sans rythme, car après tout, le bruit était la seule chose appréciée. Le bruit se devait d’envahir les vies des obstinés et des irréductibles, vivant au-delà des kilomètres, dans un Parlement. Ce lieu solennel de Québec qui connaissait les premiers jours de sa débâcle.

Un parti qui tergiversait entre l’ultime solution et la négociation pour chacun de ses membres, étant à bout de nerfs et au bord de l’épuisement. Un parti au pouvoir qui se heurte de plein fouet aux limites de son influence. Le tintamarre des chaudrons était ce cri de désespoir particulier et la seule réponse claire des politiciens était ceci : «Dans notre incroyable coup de force pour vous contrôler d'un seul coup, tel un joug, nous ne savons plus quoi faire autrement. Hélas, nous capitulons ou nous devenons arrogants. Or nous assumons ce que nous sommes et ce que nous avons fait pendant plus de neuf ans.» Le message est non-verbal, car il se lit aussi dans le silence.

La peur n’était point là, ni la colère, ni l’ivresse du militant. Tout se passait dans une joie festive et dans un atmosphère de carnaval et de tombola. Pas besoin de faire de la désobéissance civile, chaque personne ordinaire trouve le bonheur de se retrouver ensemble dans la rue parmi les étrangers. Pas besoin d’en faire, les manifestants sont de manière sécuritaire sur les plates-bandes de leur demeure. Vingt minutes, pas une seconde de plus, on retourne chez-soi en verrouillant la porte d’entrée à double-tour.

D’autre part, des petits ou larges groupes de manifestants circulent dans les rues sous l’étroite supervision de la police, ou non. Les groupes non-encadrés sont laissés à eux-mêmes et aux automobilistes dans la frénésie anarchique de la rue. De prochaines arrestations de masse ?

Et pour croire que c’est le Québec de maintenant, le citoyen ordinaire trépigne sa consciente servilité. Faut-il croire qu’au-delà de ce masque de bonheur festif se cache allègrement l’écoeurement à son point culminant ? La folie béate de la joie de vivre et de l’extase était probablement l’un des moyens pour répondre à la démence de la répression et de l’insurrection subites. Une joie de vivre qui fait de tout le monde, un musicien percussionniste, la nouvelle audace.


La crise est hélas profonde. Tout se sent grave et malsain. Si le conflit perdure, la crainte et le dégoût prendront leur lot sur tout le monde à la suite des humeurs festives, jusqu’aux prochaines élections.Depuis une semaine, j’étais transfiguré de désarroi et d’inquiétude, que ce soit le nouveau projet de loi 78 ou cette élite au pouvoir qui faisait fi des étudiants comme bon lui semble. En considérant que la foi soit bonne ou mauvaise, cela n’a plus aucune importance, parce que la confiance est désormais anéantie depuis l’émeute de Victoriaville, ce moment pivot dans l’histoire du Québec. Le son dominical du peuple dans la rue écrase sur-le-champ n’importe quelle statistique fallacieux que je lisais d’un quotidien, d’un jour à l’autre. Les statistiques devinrent hélas insignifiants, devant le son rouillé d’une colère.



Mais quelle année horrible pour le pays ! Quelle année de chien, de gale et de damné !




(photo: Le Soleil, Steve Deschênes)

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