When the levees broke de Spike Lee


Lorsque le cinéma devait s’attaquer à l’histoire, il n’en devenait lui-même qu’une forme cinématographique de l’histoire. Mais malgré que le cinéma est un art de la réalité, afin de produire de par le réalisateur et son scénariste : une réalité nouvelle dans l’essor de la fiction. Que cette réalité soit fausse ou véridique, le film de fiction ou le documentaire n’est que le produit de la subjectivité de son auteur, même en égard à l’histoire. Lorsque l’Histoire est un tout, le cinéma reposera davantage sur la représentation de la politique, ainsi que du portrait de la société, par conséquent un film est capable de traiter de ces éléments. Par contre, la plupart des cinéastes qui décident de s’attaquer à l’histoire, décident également de faire attaque à l’injustice. Comme une autre façon de vivre, le documentariste veut faire l’exposé des injustices et des damnés qui ont subis les injustices, en ayant recours aux témoignages. Quelquefois même, ils se servent à outrance des témoignages. Dès qu’un cinéaste va vouloir prendre le sujet de l’histoire, que ce soit aux États-Unis ou en Europe, c’est pour faire office de la démystification du passé. Démontrer aux gens ce qui ne serait pas toujours l’histoire officielle, est le principal instigateur pour que les cinéastes puissent s’intéresser au documentaire, notamment le documentaire de mémoire. Spike Lee, l’un des célèbres auteurs afro-américains à avoir laissé un œuvre large dans la fiction, se consacre maintenant au documentaire de mémoire, situant le film When The Levees Broke : A Requiem in four acts. C’est un documentaire qui traite de la dévastation de l’ouragan Katrina dans la Nouvelle-Orléans, ainsi que les victimes de la dévastation vivant dans un quartier d’une pauvreté exécrable dans la Nouvelle-Orléans, qui se nomme « le 9th Ward ». De plus, le documentaire de Lee fait l’examen de la réponse du gouvernement face aux plus démunis de ses concitoyens. Tout comme le film Fahrenheit 9/11, c’est l’un de ces rares films à détenir une charge viscérale dans le milieu politique, surtout si on y examine l’aspect politique, on décèle tout l’appareillage des thèmes poursuivis par le cinéaste afro-américain. Alors en regardant le documentaire de Lee, une problématique s’impose et se traduit comme suit : « Parmi le travail des thèmes dans le contenu, tout autant que du travail de l’esthétique se dévoilant dans la forme, est-ce que le film de Lee est en soi, un film à thèse qui promulgue l’agenda personnel du cinéaste ? Est-ce qu’il suit son propre agenda personnel face à l’Amérique qui l’entoure depuis le cours de son œuvre ? » On peut répondre par l’affirmative, puisque le film de Lee se veut un procès contre l’administration Bush, ainsi que les dirigeants de la FEMA. Dans ce film, on humanise les témoins et les victimes de l’ouragan, afin de rendre coupable le gouvernement au pouvoir, comme un avocat de la couronne compétent. À travers l’analyse de ce film, il deviendra important que nous élucidons ensemble la recherche de la justice dans le contenu du film de Lee, ainsi que dans la forme et l’esthétique choisis du cinéaste pour son propre film.




Le documentaire de Lee suit une ligne directrice propre, lorsque l’on considère de tout l’œuvre de Lee. Ce documentaire, comme tout film de fiction, parcourt les mêmes thèmes raciaux qui ont unifiés son œuvre depuis les années 80. Le thème principal qui unit tout son œuvre, est le racisme, et c’est tellement redondant comme thème que cela en est à un point grossier. Cependant, même dans une recherche d’un thème unique, Lee fut capable de produire une fresque de personnages colorés, tout aussi unique les uns que les autres. Au tout début de sa carrière, Lee a produit des drames sociaux où règne le racisme entre des Blancs et des Noirs, comme dans les films She’s Gotta Have It, et Do The Right Thing. Deux films qui furent réalisés durant les années 80. Avant même de se concentrer sur l’histoire afro-américaine, Lee produisait des films urbains de quartier et de ghetto new-yorkais, en peignant des personnages noirs qui vivent dans une pauvreté indicible. Or dans le film When The Levees Broke, il existe la structure en quatre actes qui relate tout le drame historique et sociale de l’ouragan Katrina sur la ville de la Nouvelle-Orléans, et aussi dans la ville du Biloxi et ailleurs au Mississippi. Le premier acte se constitue de toute la presse médiatique télévisuelle sur l’avènement d’un ouragan d’une grande plénitude et d’une grande force. Cet ouragan, qui se nommera Katrina pour l’histoire, va frapper de plein fouet toute la côte des deux états du Sud des États-Unis. On aperçoit, même à travers les archives télévisuelles, de tout l’appareillage de la peur qui constitue la presse américaine, en voulant faire croire aux téléspectateurs que l’ouragan Katrina va entraîner des dimensions d’Armageddon prochaine. Ce qui fait contrepoint avec les archives de la presse télévisuelle, ce sont les témoignages tournés par Lee et les réflexions des témoins par rapport à leur situation présente face à la venue de l’ouragan, que ce soit en Louisiane, ou au Mississippi. Le deuxième acte est la touchée de terre de l’ouragan Katrina sur les côtes. Certains dissidents pour la majorité de race noire, trop pauvres et démunis ne pouvant évacuer la ville, ont réussi à trouver hébergement dans le stade « Superdome » du centre-ville de la Nouvelle-Orléans. De plus, on fait le portrait des gens Noirs et Blancs, résidant dans la ville, qui ont survécu la venue de l’ouragan en étant encore dans leurs maisons. Crucialement, c’est pendant ce deuxième acte que l’on traite de la fissure et de l’ébranlement des levées par les eaux des mers. La destruction immédiate des levées par l’ouragan a saccagé tout un quartier pauvre dans une énorme inondation. L’acte se termine lorsque le président américain George W. Bush proclame l’état d’urgence dans les états de la Louisiane et du Mississippi. Dans le film, on constate la vidéo-conférence entre Michael Brown et son personnel, ainsi que le président Bush et le vice-président Dick Cheney, où il proclame l’état d’urgence. Lors de la vidéo-conférence, le président Bush donne carte blanche au directeur Michael Brown, pouvant ainsi recevoir toutes les ressources disponibles à son effectif. Le troisième acte s’occupe en partie des témoins qui parlent de leurs pertes, en tant que sinistrés de l’ouragan. Lee trace le portrait de personnes âgées qui meurent dans la rue au soleil, à ciel ouvert. Les témoins expriment ouvertement leur colère face à la réponse du gouvernement, face à la tragédie du désastre. Ils expriment leur colère et leur frustration face aux responsables, que ce soit le maire Ray Nagin, la gouverneure, ainsi que le président. On perçoit l’appareillage de la bureaucratie aveugle, dans l’exemple d’une masse de gens, noirs et blancs confondus, attendant les soins nécessaires et leur aide financière. Dans le film, c’est ahurissant comment la masse de gens peut s’éloigner en une immense foule, qui se prolonge comme une mer de personnes noirs, à des kilomètres d’un bâtiment principal. On traite également de l’organisation des effectifs et des ressources fournies aux concitoyens par les hommes politiques, tels que le maire de la Nouvelle-Orléans, Ray Nagin, la Gouverneure de la Louisiane, Kathleen Blanco, ainsi que le directeur de la FEMA, Michael D. Brown. Dans le film de Lee, ils discutent ensemble de la situation de l’état d’extrême urgence et planifient les effectifs de secours aux cas prioritaires, dans l’une des chambres de l’hôtel Hyatt. Un immense immeuble surplombant tout le centre-ville saccagé et dévasté de la Nouvelle-Orléans. Le quatrième acte est un peu l’état dans le réajustement, du genre après la crise. On trouve la résolution propre après le conflit et la dévastation. Les témoins racontent qu’ils continuent avec leur vie. Suite à la crise, on traite du retour à la normale de la loi et de l’ordre par les forces policières dans la ville, lorsqu’auparavant, la ville était dans un chaos total où régnaient l’anarchie et la loi du talion. On traite également du déploiement des forces de la marine américaine, ainsi que la garde nationale sur la ville. Alors, plusieurs des concitoyens américains : bourgeois, ouvriers et pauvres, vivaient dans un climat intense de paranoïa. Pour la plupart d’entre eux, la peur était si grande de se faire piller qu’ils décident de prendre les choses dans leur propres mains. Or, on est encore loin d’une fin parfaite et heureuse comme dans les films hollywoodiens. Spike Lee illustre son histoire dans la structure des quatre actes du cinéma classique, comme pour le théâtre de la tragédie grecque. Selon Eugène Vale, la structure des quatre actes aurait la même structure des quatre états propres de l’histoire : l’état dans l’univers placide, l’état dans la perturbation, l’état dans la lutte et finalement l’état dans le réajustement. En principe, lorsque Lee utilise cette structure narrative, qui est une structure universelle, ce qu’il cherche à faire est d’amplifier le drame humain des Américains noirs vers une profondeur opératique de la tragédie grecque. Aussi, il veut rendre l’histoire des témoins qu’il a tournée, en une histoire universelle. Alors, c’est tout simplement dans une profondeur opératique, que l’on accentue tout le procès que l’on fait à l’administration Bush, sans vraiment toutefois diaboliser l’homme d’État. Selon Marc Ferro, lorsque l’on souligne les approches historiques en ce qui concerne le cinéma, Spike Lee aurait pris la troisième approche « from below ». Selon Marc Ferro, Lee rend prioritaire au documentaire le point de vue des témoins ordinaires concernés par la dévastation de l’ouragan. Lee en fait une analyse autonome des événements historiques du déluge de l’ouragan Katrina sur les côtes des États-Unis. En sorte, il fait son examen des situations comme auteur, mais en mettant suffisamment l’accent sur les gens de race noir, de la Nouvelle-Orléans, et ailleurs en Louisiane. Même ce qui est important de remarquer, c’est qu’il y a plus de témoins noirs que de témoins blancs qui livrent leur témoignage au film de Spike Lee. En somme, le contenu du film est divisé en quatre actes, en signifiant la structure dramatique de la tragédie grecque, et du cinéma classique. Lee fait son analyse autonome des événements historiques, en adoptant un point de vue historique « from below » en approchant ce que perçoit la masse et les gens ordinaires, durant l’ouragan Katrina. Lee ne s’attend pas à connaître l’avis des dirigeants au pouvoir de l’administration Bush. En plus, Lee n’adopte pas l’idéologie conservatrice de l’administration Bush.





La forme ou l’esthétique du film de Lee se présente traditionnellement sobre pour un documentaire de mémoire. On ne voit pas que Lee s’amuse à réinventer la roue du documentaire de mémoire ou même du documentaire traditionnel à têtes parlantes. Même pour le documentaire de mémoire, tout ce que le réalisateur fait est un mixage d’archives et de témoignages. La plupart des documentaires classiques traditionnels ont toujours été comme cela, depuis que le cinéma documentaire existe. En ce qui attrait des archives télévisuelles dans le film, ce sont des archives provenant des grandes chaînes télévisuelles, tels que Fox News et CNN, où ce sont les nouvelles télévisées vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Dans un exemple, on voit les reportages des journalistes enquêtant sur le terrain de la ville échue par les flots, avec les bannières visuelles du poste défilant sous les yeux dans le film. Le film utilise les archives télévisuelles, tout comme on utilise les archives locales des réseaux de journaux télévisés, provenant de stations locales de télévision dans la Louisiane et le Mississippi. Cependant, le film de Lee ne se donne pas uniquement la tâche de faire du recyclage des archives journalistiques des chaînes de T.V. nationales et locales. Lee fait lui-même son tournage des lieux, en se rendant lui-même sur place, sur les lieux des sinistrés qu’il interroge en entrevue. Lee et son équipe de tournage ne font pas uniquement que filmer les témoins, mais filment également les lieux de la Nouvelle-Orléans et ce qui se trame dans la ville, les jours suivant le désastre de l’ouragan. C’est l’aspect du cinéma direct du film de Lee. Lorsque l’on est un cinéaste, comme Spike Lee et que l’on s’est fait une renommée internationale avec son cinéma de fiction hollywoodien, il devient évident dans son cas d’avoir une grande équipe de tournage avec les meilleurs techniciens majeurs. Ce n’est pas le cas des cinéastes qui débutent dans leur carrière dans le cinéma documentaire, avec une équipe squelettique, constituée de 3 à 6 personnes. Finalement, Lee utilise comme probablement un autre moyen d’archive : les films de famille des témoins qui livrent leur témoignage à la caméra de Spike Lee. Dans un exemple de cela, l’un des témoins les plus ouverts à Lee, Ben Marble M.D, un médecin légiste, tourne des séquences avec un ami en voiture. On observe toute une région de banlieue dévastée par la tempête tropicale. On voit Ben Marble au volant de sa voiture qui est une Dodge Caravan, pendant que son ami le filme, ainsi que les paysages déchirés par une nature courroucée. Ensuite, le film de famille du docteur Marble atteint une certaine notoriété, puisque dans la voiture, Marble et son bon ami, ont déjà pris connaissance que le vice-président Dick Cheney se retrouve directement sur les lieux dévastés du Mississippi, très proche d’où ils habitent. Le vice-président Cheney se faisait interviewé par les journalistes, appuyé de leur caméraman pour les grandes chaînes, une fois de plus. Dans les milieux des relations publiques, on appellerait cela pour des figures publiques, une photo opportunity. Marble et son ami, filmant toujours et sans arrêt même, se rendent où se trouve le vice-président Cheney, à l’arrière d’un fort nombre de journalistes. Après avoir outrepassé la légère fouille des gardes du corps, Marble insulte vertement le vice-président : « Mr. Cheney, go fuck yourself ! » , ce qui laisse le vice-président à rire un peu jaune. Marble se retourne vers l’un des gardes du corps du vice-président tout en quittant prestement les lieux avec son ami, et lui dit discrètement : « Take care of yourself, allright. » . Ce qui nous est révélé, même si on peut y voir un soupçon d’humour, est la frustration des sinistrés s’exprimant ouvertement contre les propres machinations de leur gouvernement. Par ailleurs, au lieu de n’utiliser que des archives filmiques de T.V, ou le tournage des lieux dévastés, on prend les archives effectuées par les témoins eux-mêmes. Les gens, victimes de la dévastation, sont quelquefois émotifs et ils maîtrisent leurs émotions ou leur peine, et ne veulent pas fondre en larmes devant la caméra. D’une certaine façon, ils ne veulent rien laisser transparaître pour la caméra. Lorsque l’on examine tous les moyens de production exercés par Spike Lee, que ce soit les archives, le tournage en cinéma direct et les témoins, on ressent que Lee veut s’approcher du plus possible d’une recherche objective de la vérité historique, une recherche documentaire la plus véritable que possible. Il ne veut pas avoir la moindre apparence de « fausseté » dans son documentaire. Alors, Lee se voue en soi une obsession de prouver sa thèse qu’un gouvernement élu démocratiquement se fout catégoriquement de ses propres concitoyens. L’administration Bush, occupant en ce moment le gouvernement, est largement incompétente. En conséquence, le documentaire When The Levees Broke de Spike Lee, tout comme Le Cas Pinochet de Patricio Guzman, fait un procès contre l’administration qui est au pouvoir. En bref, la forme du film de Lee se définit par les archives de la presse télévisuelle, le tournage en cinéma direct et les images tournées par les témoins, ainsi que les témoignages.






Pour conclure, le film de Spike Lee est bien certainement un film à thèse, car la structure en quatre actes, empruntée à la tragédie grecque de Sophocle et d’Aristophane, accentue en verve opératique les citoyens noirs de la Nouvelle-Orléans, parmi le désastre qui les entourent. On occupe un biais favorable par rapport aux sinistrés de l’ouragan Katrina, en faisant l’approche historique « from below », en faisant une analyse autonome des événements. La forme du film se distingue par le tournage en cinéma direct, les témoignages, le tournage des témoins et les archives médiatiques. Dans son film à thèse, Lee veut que son film puisse s’articuler comme un procès contre l’administration qui a gouverné le pays. Maintenant, arrêtons-nous avec le premier documentaire de mémoire de Spike Lee, afin de s’interroger sur un autre film, qui est un documentaire d’Errol Morris, The Thin Blue Line. Bien que le documentaire ne soit pas un film avec une consistance de l’historicité des grands événements et qui contient d’ailleurs un fait divers, ne se tenant pas dans un contexte historique. Il serait fascinant de s’interroger, dans ce film de Morris, des côtés de la reconstruction fictive du meurtre d’un policier, qui tient davantage la place de la mise en scène du film de fiction, en contraste avec les archives documentaires et les archives journalistiques. Il serait important de se questionner au sujet de la relation entre le côté fictif de la reconstitution, ainsi que le côté objectif du cinéma direct, dans le film The Thin Blue Line, d’Errol Morris.

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