Les Mythologies du Cinéma - Mulholand Dr(1996) de David Lynch, Sunset Blvd de Billy Wilder




"It's more than meets the eye"
-Anonyme

PREMIER TRAVAIL






Tous les arts veulent, ou même auraient voulu, rejoindre les contrées lointaines de la pensée, lorsque ces mêmes formes d’art pouvaient le faire dans la mesure du possible. Dans l’essence du monde, on ne peut nier le fait, toute la résurgescence et tout l’essor de l’humanité qui sont ressortis par ses propres gammes de mythologies. Avant le cinéma, le monde s’est réalisé de grands récits extraordinaires en immortalisant ses personnages qui prenaient la stature de demi-dieux, avant l’apparition des sciences et de la philosophie rationnelle. La peinture et la littérature furent les premiers reproducteurs de ces mythes ancestraux, qui ne vivaient que dans le conte oral. Cependant, avec la période du cinéma, un cinéaste du nom de David Lynch a voulu se servir d’un mythe qui se nomme le mythe de la fondation d’Hollywood, dans son cinéma. Lynch ne fit qu’un seul film qui illustre toutes les schèmes du mythe hollywoodien en une parfaite synthèse, et ce film est Mulholand Drive, réalisé en 1996. Le mythe hollywoodien correspond à l’une des trois définitions du mythe par l’essayiste et anthropologue, Mircea Éliade, puisqu’il affirme que le mythe, est l’ensemble de récits extraordinaires qui sont les récits véridiques, qui tiennent office des légendes de la création d’Hollywood. Autre que Hollywood, l’ensemble de récits sacrés concerne également les origines d’un monde ou du monde. David Lynch est un auteur qui s’est toujours imposé sur le grand panorama du cinéma américain, en y imprégnant son propre cinéma surréaliste. Dans le film Mulholand Dr, Lynch utilise beaucoup la caricature afin de peindre ses personnages dans des stéréotypes très grossiers. Tout au long de ce discours, nous élaborerons ensemble à propos de l’essor du mythe hollywoodien dans le film de Lynch, tout autant que la dualité qui est renfermé dans ce film de Lynch.



Le mythe hollywoodien dans le film de Lynch, prend l’ampleur de la caricature en ce qui attrait du mode de vie hollywoodien, ainsi que des stéréotypes propres des personnages. Mais c’est cette caricature qui doit faire une parfaite symbiose avec le surréalisme propre de Lynch. Sinon, ce que va vouloir démontrer Lynch dans le choix du contenu et du style, peut tomber dans un manque de cohérence ou de crédibilité si on prend pour acquis le public dans son travail de réception. Lorsque l’on dit un manque de crédibilité, c’est la perte de contrôle d’un auteur afin de maîtriser correctement son sujet, ce qu’il veut nous faire montrer sur l’écran, correspond à la réalité propre et cohérente. Mais dans le fond, chaque cinéaste présente la réalité, comme sa propre réalité. Dans la caricature du mode de vie hollywoodien, tout ce que le film présente, n’est rien qu’un monde dominé par l’artifice et par la superficialité. Dans ce film de Lynch, on sent que toute l’essence propre de Hollywood réside dans la « fausseté ».

Dans ce cas-ci, Lynch veut à sa manière rendre évident un vacuum moral, où vivent tous les personnages du film, en rendant Hollywood davantage, comme une ville cauchemardesque, qu’une ville idyllique. Il arrive que l’environnement hollywoodien soit tellement artificiel et rempli du « faux » qu’est conçu Hollywood, que le spectateur ne fait que se distancer par rapport au film. Le spectateur fait une distanciation critique, puisque le film est tellement surchargé d’éléments oniriques, que pendant le visionnement il ne peut faire qu’un recul critique par rapport à ce qu’il voit. Certes, c’est lorsque l’on parle d’un spectateur qui visionnerait pour la première fois, un film de Lynch. Afin de souligner un exemple dans ce film de Lynch, il y a la scène du concert de minuit avec les deux jeunes filles Betsy et Rita. Pour l’exemple, pour la scène du concert, les deux filles se retrouvent dans une salle de théâtre et assistent à une prestation d’une chanteuse espagnole. La chanteuse chante une version espagnole, de la chanson Crying, écrit par l’auteur-compositeur-interprète américain, Roy Orbison. À l’écoute de la chanson, les deux filles deviennent émues aux larmes. Ce n’est qu’après que la chanteuse tombe dans les pommes sur la scène du théâtre d’un profond malaise, et le reste de la chanson continue sans elle. Comme spectateur, cela nous laisse l’impression qu’elle faisait du lip-sync. Dans cet exemple, Lynch veut nous dévoiler d’une manière ésotérique de tout l’appareillage hollywoodien comme une machine à rêves, qui avait toujours cette sous-apparence d’être une machine construite par des gens angoissants et manipulateurs. Dans un autre exemple, il y a la scène d’enregistrement avec le jeune réalisateur Adam Kershner, dans un environnement qui fait réfléchir au cinéma culte-rétro de John Waters : Hairspray et Cry-Baby. C’est une scène d’enregistrement musical qui est très kitsch, où l’audition se fait pour des actrices qui doivent chanter des chansons teeny-bopper des années 50. Le réalisateur doit se plier aux offres des producteurs dans le choix d’une actrice dont Camilla Rhodes dans son film, et que lui-même ne veut vraiment pas. Puisqu’il refuse, les producteurs se montrent persuasifs, en lui faisant de l’intimidation jusqu’à ce qu’il cède. L’usine de rêves n’est produite que par des personnes de cauchemar, c’est très paradoxal, non ? En somme, le film est une synthèse de tout le mythe hollywoodien, étant un monde complètement dominé dans l’artifice et la fausseté, que ce soit un mythe fondé sur son excès et son exubérance. Le mythe hollywoodien prend la forme de la caricature en grossissant les stéréotypes.



Par ailleurs, le film de Lynch montre une dualité entre le rêve et le cauchemar, entre la réalité vraisemblable et sensible et le surréalisme. Dans ce film de Lynch, la réalité et l’imaginaire le plus invraisemblable se côtoient dans une parfaite symbiose, en frôlant quelquefois la vague incohérence. Mais pour un public très familier à l’univers de Lynch, ce public n’y voit que du feu. Dans un film de Lynch, le rêve et le cauchemar se côtoient toujours, avec deux scènes du jeune réalisateur Adam Kershner, interprété par Justin Theroux. La première scène illustre le rendez-vous d’Adam avec un mystérieux cowboy dans un corral abandonné. On ne peut nier dans cette scène, le jeu d’acteurs entre le réalisateur et le rancher, mais c’est plutôt le jeu du cowboy qui est vraiment particulier. Le personnage du cowboy veut se montrer persuasif en ayant un ton ferme, mais non rassurant. Lorsque l’acteur jouant le cowboy, contemple le réalisateur, son regard est très hagard, évasif et perdu. Le jeune réalisateur reste visiblement un peu médusé du regard du cowboy.

La deuxième scène est lorsque le réalisateur se retrouve dans une salle de réunion et lors de l’entrevue, les producteurs ont des comportements bizarres. Mais le plus drôle est que le réalisateur adopte une stoïcité face à ce qu’il se passe, et il reste indifférent. D’un autre côté, la division du film se fait en deux parties, et le passage du film d’une partie à une autre se fait par l’un des personnages qui ouvre une boîte bleue. Dans ce changement de partie, ce n’est rien qu’un revirement des rôles. Cependant, dans ce revirement, Betsy et Rita sont les actrices, dont l’une est une aspirante actrice et incarne la star blonde hollywoodienne, et l’autre, une actrice amnésique qui incarne la femme fatale. Betsy incarne tout l’idéal du mode de vie hollywoodien, tandis que Rita, c’est l’inverse, la déchéance du style de vie hollywoodien dans la tristesse, la difficulté et l’oubli. En ce qui attrait de la tristesse, de la difficulté et de l’oubli pour la vedette déchue, on le retrouve dans le film de Billy Wilder, Sunset Boulevard. Gloria Swanson joue une ancienne vedette du film muet qui ne peut trouver de rôles dans les films parlants, alors par conséquent, elle finit complètement oubliée comme une recluse. Cependant ce qu’il faut noter est que pendant le changement de partie, Betsy devient une autre personnage : Diane, et Rita devient Camilla Rhodes.

Dans un sens, Diane, jouée par la même actrice Naomi Watts, n’incarne plus les rêves de grandeur et de gloire venant d’une jeune actrice débutante et inexpérimentée. Diane incarne le dur réveil à la réalité, et toute la cassation des illusions, en étant une actrice frustrée et amère qui n’arrive plus à joindre les deux bouts. Camilla Rhodes, interprétée par la même actrice Laura Harring, est une actrice qui connaît le succès dans ses rôles de starlette, tout autant que des grands rôles. En somme, l’univers du rêve et du cauchemar se côtoient dans la mise en scène et l’esthétique principalement surréaliste de son auteur. Lynch nous révèle la complexité du jeu de ses acteurs, tout autant qu’au niveau du scénario, les personnages doivent faire l’incarnation des idéaux et des vices du mode de vie hollywoodien.



Le film de David Lynch, Mulholland Dr. dans son ensemble, se veut la parfaite incarnation du mythe hollywoodien, que ce soit un univers dominé par la superficialité, le rêve et le cauchemar. Lynch le démontre dans son sens ambigu et complexe de la mise en scène, tout en imprégnant l’esthétique de son film, de son surréalisme propre. Au niveau scénarique, Lynch sépare en deux actes distinctifs, le revirement de situations en confondant dans les actes les rôles des deux jeunes femmes. Le film répond à l’une des définitions du mythe, donnée par le chercheur Mircea Éliade. C’est la définition qui traduit le mythe comme l’ensemble des grands récits d’une société. Et pour Hollywood, ces propres récits ne font pas exception. Nous avons toujours su que le cinéma de David Lynch a été l’objet d’un cinéma culte, puisqu’il y a de nombreux admirateurs qui adorent son travail de cinéaste. Mais dans le film Eraserhead, réalisé en 1980, il serait fascinant de questionner tout l’univers de Lynch qui fait l’essor du rêve, et ce domaine du rêve aussi expressionniste qu’il puisse être, se mêle aisément avec le cauchemar. Bref, tout le cinéma de Lynch est une symbiose entre le rêve et le cauchemar, même pour ses films qui sont classiquement faits.



DEUXIÈME TRAVAIL

Hollywood est une machine de mythes, tout cela est bien connu, et il ne faut pas nécessairement y vivre dedans pour le savoir. Cependant, Hollywood est surtout connu aujourd’hui comme dans le passé, pour fournir aux Américains, leur propre mythologie. Cette mythologie s’est construite sur l’histoire des mythes fondateurs américains, tout autant que des mythes hollywoodiens. Durant tout l’essor de l’Histoire, tout le monde connaissait que l’ensemble de la mythologie était un ensemble de reliquats qui devaient procurer à la suite de l’Antiquité grec et romaine, les propres récits de ses origines. Que ce soient les origines des gens, du monde et de la culture gréco-romaine, les premières civilisations néolithiques ont voulu, depuis des siècles de temps, assembler toutes les origines de la culture en louant une religion polythéiste, puisque chaque dieu ou demi-dieu était la cause première des vertus, tout autant que des vices des hommes.

Par contre, ce sera dans la religion polythéiste gréco-romaine, que l’on va reconnaître toute la naissance et la préservation de leurs superstitions qui deviendront au premier versant du XXe siècle, la mythologie grecque et la mythologie romaine. L’essayiste et chercheur Mircea Éliade, dans sa fameuse recherche sur l’essence des mythes, a produit trois définitions types du mythe. La première définition est l’ensemble de récits sacrés, surnaturels et extraordinaires, dont ces mêmes récits tracent le portrait d’êtres surnaturels qui se rapprochent à des titans. La deuxième définition est la représentation idéalisé d’un personnage historique ou d’une figure, que ce soit le mythe de Nelligan ou le mythe napoléonien. La troisième définition qui est la plus simple, est que le mythe est une fable, une allégorie qui doit expliquer les origines du monde. Mais la définition du mythe qui semblerait la plus pertinente, concernant le film de Billy Wilder, Sunset Boulevard, serait effectivement la première, puisque le film se veut d’être le récit sacré et extraordinaire d’une grande star hollywoodienne, qui vit dans l’ombre du chômage depuis l’avènement du cinéma parlant. Gloria Swanson incarne une star qui veut reconquérir le grand écran, mais qui est complètement dépassée par les nouvelles tendances du public, ainsi que de la technologie du parlant. Tout au long de ce discours, il serait fascinant d’explorer les sous-thèmes hollywoodiens : le rêve et le cauchemar hollywoodien, dans le film Sunset Boulevard, et le personnage de Norma Desmond, interprétée par Gloria Swanson. D’autant plus, il sera nécessaire d’explorer l’essor du star-système hollywoodien, ce qui a commencé avec le cinéma de Griffith, pour s’accroitre avec les décennies.





Abordons en premier point, l’appareillage symbolique du rêve et du cauchemar hollywoodien. Sunset Boulevard, est l’un des films de Wilder qui détient dans l’ensemble de l’esthétique de son auteur, l’esthétique du film noir, mais qui se mêle avec l’esthétique du drame de mœurs. Cependant, ce qui est surtout connu de Wilder, est sa tendance de faire un mixe des genres, en mélangeant le drame romantique avec le film noir. Habituellement, si on connaît la filmographie de Wilder, comme les œuvres Some Like It Hot, une grande comédie romantique, et Double Indemnity, un film policier noir, Wilder va se concentrer sur le genre propre, en ne faisant aucun mixe des deux. Pour sûr, on connaît que dans la vastitude de la filmographie de Wilder, c’est un réalisateur qui était fortement axé sur le film noir, et surtout le film policier. Cependant, le film Sunset Boulevard est un film qui est purement comique, à certains endroits, et même le ton du film dégage un peu le théâtre de l’absurde. Le plus extraordinaire, est que c’est un film qui explore Hollywood, dans la satire et également dans un sérieux troublant. L’esthétique du film noir dans le cinéma de Wilder, même si le film est une comédie romantique, va être mise en importance. C’est ce qui paraît le plus grossièrement, The Appartement est fondamentalement une comédie romantique, mais son esthétique dans l’ensemble comporte quelques nuances du film noir. Autrement, le cinéma de Billy Wilder est presque un cinéma du réalisme poétique français : Jean Renoir, Julien Duvivier et Marcel Carné. Un peu comme Orson Welles, si on prend pour exemple, les films Citizen Kane, Touch of Evil, The Trial et The Third Man, ce qui va devenir le plus grossier dans son esthétique, est son propre goût pour l’expressionnisme.

Mais Welles va rendre conforme tout un courant de l’expressionnisme allemand, à ses propres goûts individuels, et à sa propre démarche individuelle. À Hollywood, vers les années quarante et cinquante, il n’y avait que deux réalisateurs durant cette époque qui étaient capable de se spécialiser dans ces deux genres distinctifs et opposés, et ce fut Howard Hawks et Billy Wilder. Wilder, quant à lui, avait développé tout son style, ce que l’on nomme la maturité, lorsqu’il était advenu à faire le film Sunset Boulevard. Selon Wilder, tout ce qui est l’essor du beau rêve hollywoodien est profondément un objet de satire. Tout ce qui se fait à Hollywood, est digne d’en être ri, puisqu’il n’y a rien de plus drôle qu’une ville qui essaie de faire le plus d’argent possible et cela coute que coute, avec une forme d’art. Dans ce film de Wilder, on observe toute la satire qu’il en fait sur le système hollywoodien : les scénaristes hollywoodiens et surtout les producteurs hollywoodiens ce qui en fait un film assez tongue in cheek.

Malgré le fait que ce n’est pas vraiment clair que l’on voit une comédie qui pourrait se classifier dans un type précis, on décèle l’humour mordant de Wilder dans une scène où Joe Gillis doit se trouver du boulot sur des offres de scénarisation avec un producteur. Par la suite, une demoiselle Betty Schaeffer qui vient d’un comité de lecture pour juger les scénarios, arrive dans le bureau, avec en présence Joe Gillis. Elle fait une critique acerbe du scénario de Gillis, avec lui en sa présence, ne sachant même pas que c’est lui dans la pièce. Durant la même scène, il y a un échange avec les trois : le producteur, Betty et Joe Gillis, jusqu’à ce que Betty mentionne le film de Victor Fleming, Autant en emporte le vent, en voulant insinuer qu’elle n’aime que les films qui doivent dire quelque chose, et ce film en est un bon exemple pour elle. Betty dit par la suite que c’aurait été absurde de ne pas produire un film comme cela. Mais le producteur dans un soupir désespéré révèle que c’est lui qui a refusé de financer le projet de film, en disant que personne ne s’intéresserait à un film à propos de la guerre civile. Somme toute, c’est ce qui fait assurément le ton cocasse du film. Par ailleurs, du goût de la satire pour tout ce qui constitue le rêve hollywoodien, le côté cauchemardesque du mythe hollywoodien se traduit en étant l’univers du rejet et l’univers de la résignation. Tout au long du film, c’est le thème du rejet qui devient prédominant. Ce qui est certain, est que le rejet prend une forme amoindrie et subtile, et ce n’est pas quelque chose qui devient brutal au premier coup d’œil. En principe, le rejet est ce qui unit les deux personnages principaux à se rencontrer mutuellement et ce qui les poussent ensemble, Joe Gillis, interprété par William Holden, et Norma Desmond, interprétée par Gloria Swanson. Joe Gillis, par contre, est quelqu’un dans le film qui tolère assez bien le rejet, puisque c’est quelqu’un qui aime se mettre dans les événements sociaux, dans les milieux dits « branchés » dans la haute société hollywoodienne. Pour Gillis, réussir à Hollywood se bâtie simplement sur les connections.

On a beau avoir le meilleur talent du monde en cinéma, mais si on n’a pas les connections nécessaires, on arrive carrément à rien. Ce n’est rien que cela et tout le reste ne devient que de la foutaise, semble-t-il dans ce film de Wilder. D’une certaine façon, Gillis se force à trouver de l’emploi à Hollywood, mais lui-même arrive à ses propres limites. Dans un de ses monologues, il se dit à lui-même en voix-off, que s’il ne trouve pas encore du travail à Hollywood dans le domaine du cinéma, que ce soit n’importe quoi : la réalisation ou la scénarisation, il revient en Ohio pour redevenir un journaliste ou un copiste. Il est clair qu’avec le rejet, c’est la meilleure attitude à adopter, au point de vue de la santé psychologique du personnage. Puisque dans le fond, on n’a vraiment pas besoin des personnes qui réciproquement, n’ont pas besoin de nous. C’est pratique et c’est le gros bon sens. Mais malheureusement, ce n’est pas la même philosophie pour tout le monde, en parlant plus spécifiquement du personnage de Gloria Swanson, Norma Desmond. Le rejet chez Norma Desmond, prend une forme insidieuse, jusqu’à en être auto-destructrice. Particulièrement dans ce film de Wilder, Gloria Swanson a mené une vie qui était presque identique à la vie de son personnage Norma Desmond. Norma est une actrice déchue, qui était autrefois une grande star du cinéma muet hollywoodien, dans les années 20, dans le film et Gloria Swanson l’est tout autant dans la vraie vie. Swanson était une actrice qui n’avait plus de carrière, à cause du cinéma parlant, mais spécialement à cause de sa voix. De nombreux acteurs hollywoodiens, dès l’arrivée du parlant, n’avait plus de rôles à jouer, donc plus de carrière, parce que leur voix n’était pas douce ou plaisante à l’oreille. Swanson, dans le film, a une voix plutôt cassé, rauque et désagréable comme une voix de sorcière. Cela dit, c’est un film qui miroita la vraie vie d’une manière qui dépassait la simple coïncidence.

Autre part, c’est comme si le rôle de N. Desmond était prédestiné pour Swanson. Dans le récit du film, Norma Desmond est rendue à un point qu’elle n’est plus capable d’accepter le rejet. Il faut qu’elle trouve du travail comme actrice. Il faut qu’elle puisse regagner son public adoré, en faisant accepter un scénario au sujet de l’histoire arabe de Salomé, complètement pourrie, qu’elle a écrit elle-même. Elle doit se servir de Joe Gillis, afin de condenser tout son large scénario écrite à la main, qui est amassé en grandes liasses de feuilles, empilées comme des briques. Lorsque Norma se fait rejeter par le réalisateur Cecil B. DeMille, avec qui elle a longtemps travaillé, lui ne la rejette pas brutalement. DeMille essaie quand même de le faire avec de la gentillesse, du tact et de la diplomatie. Mais ce qui est certain, est que Desmond est infatué par la gloire et la célébrité, parce que sinon, elle ressent que son public ne l’aime plus, elle sent que personne ne l’aime. Elle se sent indésirable, mal-aimé et alors elle se suicide. Bien évidemment, il y a beaucoup d’actrices hollywoodiennes qui n’avaient pas besoin de vivre durant la période de l’Âge d’or hollywoodien, afin d’avoir le même caractère que Norma Desmond. On peut penser facilement à deux grandes chanteuses et actrices hollywoodiennes : Judy Garland et Liza Minnelli, puisque ce sont des artistes qui ne vivent que pour l’attention de leur public. Finalement, si on met à part Joe Gillis, et Norma Desmond, il nous reste un troisième personnage, celui du majordome Max Von Meyerling, interprété par Érich Von Stroheim. Pour Érich Von Stroheim, le rôle du majordome en général, non seulement du majordome de Norma Desmond, est un peu le reflet symbolique de sa propre vie, spécialement en tant que cinéaste à Hollywood. Stroheim était quelqu’un qui était un cinéaste raté, puisque son film épique Greed, était au départ une interminable adaptation de 9 heures, d’un roman de Frank Norris. C’est un film qui a été bouché en morceaux, à force de le condenser en un film de deux heures, par le montage. Le film a été mal foutu dans son montage, par les monteurs engagés par le haut patronat des grands studios, voulant compresser le film dans sa longueur.

Les rushes de tournage du film étaient détruits, ce qui fait que Stroheim en a pleuré des larmes de sang, en constatant le film à sa propre première. C’est un peu le rôle du majordome, au côté d’une grande star qui veut refléter son grand échec comme réalisateur hollywoodien. De plus, le personnage de Max, est un peu comme le personnage de Desmond, puisqu’il est incapable de tolérer le rejet. C’est pour cela, étant un ex-mari, qu’il vit encore chez elle, mais il devient comme un chien personnel pour Desmond. C’est un personnage qui a tombé follement en amour avec Desmond, mais l’amour n’est vraiment pas mutuel en quelque sorte, puisqu’elle le réduit symboliquement à un état de domestique et elle est complètement intraitable avec lui. En somme, l’appareillage du rêve et du cauchemar se fait dans l’esthétique propre de Wilder. Wilder prend le rêve hollywoodien comme un objet de satire, et le cauchemar hollywoodien qui n’est que la déchéance, provoquée en somme, par le rejet.





En dernier point, on ne peut nier toute la présence du personnage de Norma Desmond, puisque c’est probablement la seule des personnages de Wilder qui contient une merveilleuse complexité émotive et psychologique. Comme personnage, Norma Desmond est beaucoup plus intéressante que Joe Gillis. Desmond dévoile beaucoup plus de dimensions que Gillis, lorsque celui-ci semble dans le film, comme le beau garçon de service, et cela ne va pas plus loin. Mais particulièrement, dans ses films, Wilder va présenter des personnages masculins qui sont confrontés à des situations extraordinaires qui leurs sont hors de contrôle.

Mais par la suite, ces mêmes personnages les acceptent parce qu’ils voient en bout de ligne, toute l’opportunité qui se dégage du dénouement de la situation. Pour Wilder, cela peut se faire pour une comédie ou un drame. Cependant, ce qui rapproche Sunset Boulevard d’une certaine façon à son autre film Double Indemnity, est le fatalisme provoqué par une soi-disante femme fatale. Norma Desmond n’est pas du tout une femme fatale, parce que c’est une femme mature, qui n’arrive plus à envouter personne, même pas Gillis l’auteur qu’elle héberge.

Dans l’autre film, Double Indemnity, le personnage de Barbara Stanwyck est absolument une femme fatale, pour la bonne et simple raison, qu’elle est très belle et très séduisante, se servant de ses charmes pour envouter les hommes et les manipuler. Ce n’est plus le cas avec le personnage de Gloria Swanson, puisque toute la grâce de sa beauté est devenue fade avec l’âge. Desmond souhaiterait encore d’avoir un pouvoir d’attraction sur les hommes, mais elle ne l’a plus et elle le conscientise très bien. Mais pour le mythe hollywoodien, ce que Norma Desmond symbolise est plutôt une vieille relique de l’histoire d’Hollywood. Elle n’avait connue la gloire qu’avec les premiers réalisateurs du cinéma muet américain : Cecil B. DeMille, Raoul Walsh et D.W Griffith. Dans le film, Buster Keaton fait une apparence spéciale dans le film comme un joueur de cartes, invité dans la demeure de Desmond, avec d’autres vedettes qui jouent aux cartes. En réaction d’une vieille relique de l’histoire, n’importe quel spectateur va exprimer un manque d’intérêt pour Desmond ou bien Buster Keaton.

En principe, même Joe Gillis exprime un fade intérêt pour la vieille actrice. Bien sûr, Gillis est encore capable de la reconnaître, mais la reconnaissance pour lui est un peu nébuleuse. Son intérêt se ravive pour elle, puisqu’il sait que c’est un travail payant de finaliser au propre, tout un immense roman-fleuve de son scénario. Autrement, il n’y a rien que Desmond qui affirme une certaine confiance en soi, en rapport à ses propres talents, puisqu’en définitif elle a été une grande actrice et pour elle-même, elle l’est toujours. Lorsque l’on est né avec du talent, on meurt avec ce même talent, comme le proverbe : « Aux âmes bien nés, la valeur n’attend pas le nombre des années. » Mais la plus grande difficulté pour Desmond, est de convaincre une fois de plus de son talent. À Hollywood, certaines stars doivent vivre avec le fait, qu’ils doivent faire un comeback s’ils veulent encore avoir une carrière. Bien évidemment, le rôle de Norma Desmond pour l’actrice Gloria Swanson, est en quelque sorte le comeback de Swanson dans ce film de Wilder pour se sauver obssessivement du vestige de l’oubli. Par ailleurs, Norma Desmond est pour le personnage de Joe Gillis, celui d’une mère castratrice attentionnée à lui, comme si Gillis devenait en quelque sorte son chouchou personnel. En quelque sorte, durant le film, Gillis devient à contrecœur le chouchou de Desmond. En contrepartie, à l’extérieur de la maison de Desmond, le temps qu’il se fait héberger afin de condenser son scénario, Gillis a une liaison amoureuse avec la jeune secrétaire du producteur, Betty Schaeffer. Étant donné que Desmond a tombé graduellement en amour avec Joe Gillis, elle devient une vieille petite copine possessive. Mais la façon d’être de Desmond pour Gillis, est qu’elle désire contrôler les moindres mouvements de celui-ci, en voulant toujours connaître ses allées et venues, comme une mère ou une femme inquiète. Joe Gillis, à la longue, devient étouffé, et s’approprie le besoin du monde extérieur. Comme une mère possessive et jalouse, elle ne voudra pas que Gillis rejoigne la secrétaire Betty Schaeffer, en essayant des subterfuges pour ternir la réputation de Gillis aux yeux de la jeune secrétaire.

La jeune fille qui est redevenue par la suite, une amie co-auteure avec laquelle il travaille pour rédiger le synopsis d’un roman d’amour. Quelque part, et c’est ce qui paraît le plus étrange, est que Gillis accepte sa condition de « gigolo-auteur-amant » envers Norma Desmond, en affirmant que la situation où il se trouve est le meilleur de ce qu’il peut faire dans cette ville sordide et pourrie, qu’est Hollywood. Surtout, ce qui semble le plus effarant, même tout autant qu’hypocrite, est que l’on sent que Gillis va vivre avec Desmond pour une durée indéfinie, et c’est très loin d’être le cas. Gillis quitte Desmond, tout autant qu’il quitte Betty Schaeffer. Ce qui semble le plus perplexe, est qu’il déclare ceci à Betty, et elle ne sait plus trop comment le prendre, elle a une réaction de stupéfaction car son orgueil et son amour pour lui, encaissent un vilain coup. Ce qui choque le plus Betty, est tout l’esprit d’acceptation et de résignation de Gillis mêlé d’une certaine nonchalance et indifférence, comme si Gillis ne l’avait jamais aimé auparavant. Pour conclure, le personnage de Norma Desmond comme une étoile déchue d’Hollywood, frôle le stéréotype de la femme fatale, sans ne jamais l’être totalement, en dépit de la beauté fade de Gloria Swanson. Pour le personnage de Joe Gillis, Desmond devient pour lui comme une mère attentionnée et possessive, jusqu’à en être une mère castratrice.





Comme résultat final, Sunset Boulevard de Billy Wilder incarne un grand sens de merveille, de cynisme, d’opportunisme et de béatitude, le mythe hollywoodien. C’est l’excès et la flamboyance qui se sont toujours mariés avec le rêve et le cauchemar hollywoodien, et cela dans la plus grande facilité. Dès le début de la carrière de Wilder, il y avait une influence considérable sur son esthétique qui est celui du film noir, mais en faisant un mixe des genres comiques et dramatiques. Tout ce qui fait le rêve hollywoodien est retransformé dans la satire, et le comique. Le cauchemar est tout ce qui fait le rejet à Hollywood, lorsque la ville hollywoodienne use chaque personne et par la suite les recrache de son système comme de la gomme à mâcher, à travers chacun des personnages principaux : Joe Gillis, Norma Desmond et Max Von Meyerling. Le personnage de Norma Desmond est d’une grande complexité, en étant une déesse déchue qui ne devient qu’une mère castratrice pour Joe Gillis. Maintenant, en ce qu’il s’agit de répondre à la définition du mythe chez l’essayiste Mircea Éliade, penchons-nous sur le genre de la comédie musicale hollywoodienne. Il serait intéressant de voir les grands récits des mythes qui seraient attribués aux films des réalisateurs Vincente Minnelli, Busbey Berkeley et Victor Fleming. Il serait curieux de voir l’effervescence de la mythologie de l’idéal hollywoodienne, à travers des personnages – types que le cinéma américain a produit.







BIBLIOGRAPHIE



1. ARMSTRONG, Richard, Billy Wilder, American Film Realist, McFarland, Jefferson, North Carolina, 2000, 164 p.



2. COLPART, Gilles, Billy Wilder, Éditions Edilig, Paris, 1983, 126 p.



3. KAEL, Pauline, Deeper Into Movies, Coll. Atlantic Monthly Press Book, Éd. Little Brown and Cie, Boston, Toronto, 1971, 600 p.



4. ZOLOTOV, Maurice, Billy Wilder in Hollywood, G. P. Putnams, New York City, N.Y, 1977, 363 p.


-M.L

le 5 février 2011

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