Being John Malkovich (1999)Réal: Spike Jonze, scén: Charlie Kaufman




Intentions de l’auteur




Being John Malkovich, de Spike Jonze, écrit sous la plume de Charlie Kaufman, est l’un de ces rares films hollywoodiens qui contient une prédominante charge philosophique, lorsque l’on considère que la majorité de ce cinéma dominant, répond à des schémas faciles cousus de fil blanc, destinés au grand public. Pour un cinéma « cousu de fil-blanc », comme le cinéma des grands studios majeurs, on lui reproche souvent de n’être qu’un cinéma de pur divertissement, que c’est un cinéma sans écriture. Quelquefois même, toutes les raisons sont bonnes pour appuyer ces hypothèses, quand depuis longtemps, ce fut toujours un cinéma axé sur la commercialisation. Jusqu’à ce que le film de Jonze, Being John Malkovich prouve presque le contraire, dans son impeccable réalisation, faisant penser un peu à l’esthétique de David Lynch. Cependant dans tout cet impeccable style de réalisation, le vrai talent est issu du scénariste Charlie Kaufman, car c’est un auteur qui brouille avec une certaine aisance, la frontière entre la réalité et la fiction, tout comme Lynch d’ailleurs, en allant aux confins de l’expérimentation. Mais pour le film Being John Malkovich, la charge philosophique du contenu du film repose sur deux aspects : le désir d’être quelqu’un de fameux ou d’important et la mise en abyme du cinéaste. Ces deux aspects agissent pour Kaufman, comme ses propres prémisses en ce qui attrait du film de Jonze, et s’inscrit dans son parcours personnel.

En ce qui concerne le désir de toujours vouloir être quelqu’un d’autre, c’est un thème prédominant dans le film de Jonze, parce que les personnages principaux ressentent le besoin de vouloir être dans la position d’une autre personne, dans les fins de vouloir découvrir l’amour ou le succès financier. Pour Kaufman, le désir de vouloir devenir autrui devient quelque chose d’universel. Alors, par exemple, il y a d’immenses files d’attente dans une compagnie privée qui veulent connaître ce que c’est véritablement être John Malkovich, un grand acteur théâtral américain, en se glissant à califourchon dans un portail. Les deux personnages, Lotte et Craig, incarnés respectivement par Cameron Diaz et John Cusack, sentent qu’ils ne peuvent rien achever en restant eux-mêmes. Alors, c’est à travers du corps de John Malkovich, dont ils se servent comme véhicule, qu’ils réussissent ce qu’ils ont toujours voulu faire. Dans l’exemple de Lotte, malgré que ce soit une femme vétérinaire qui vit en concubinage, elle éprouve toujours le désir de changer de sexe et de devenir un homme, en se disant que la vie est meilleure dans la peau d’un homme. Alors, au cours du récit filmique, Lotte éprouve une obsession de toujours vouloir être dans la peau de Malkovich, puisque c’est un homme, et sans le vouloir, Malkovich exerce une fascination sur elle. Craig, quant à lui, doit se plier à devenir un commis de bureau dans une compagnie, tandis qu’il est au préalable un marionnettiste. Craig éprouve lui-même ce désir d’être quelqu’un d’autre, soi-disant le même personnage John Malkovich. Il peut être en amour en étant dans la tête de John Malkovich avec Maxine, une brunette vide, superficielle et hypocrite, qui ne l’aime pas pour autant. Maxine, interprétée par Catherine Keener, a un certain béguin toutefois pour l’acteur John Malkovich. Dans un autre but, Craig veut utiliser le corps de Malkovich, puisqu’avec la crédibilité de grand acteur et la richesse de celui-ci, il peut accomplir son rêve de grand marionnettiste d’une renommée internationale. Lorsque Craig est lui-même, il y parvient à peine. Or, Kaufman s’arrange pour que dans la résolution du film, presque comme une leçon de morale, le désir de vouloir être quelqu’un d’autre est quelque chose de factice et d’illusoire. Les deux personnages, Craig et Lotte, courent à leur perte en voulant être quelqu’un d’autre, lorsqu’ils n’apprennent pas à s’accepter eux-mêmes comme ils sont.

La dernière thématique, employée par Kaufman, est l’une des plus évidentes, puisque la mise en abyme du cinéaste, est ce qui donne au film son surréalisme propre. Il y a trois éléments dans le film qui donnent trois métaphores distinctives du réalisateur ou du scénariste, par rapport aux personnes qui veulent contrôler des gens comme des « pantins » à leurs propres fins. Le premier élément est le personnage de Maxine, car elle manipule les gens autour d’elle par flatterie, à ses propres fins calculées et opportunistes. Maxine contrôle Craig comme son esclave personnel, en lui disant que son amour pour lui est réciproque. De plus, Maxine apprend que Lotte est en amour avec elle, mais elle le contrôle en lui disant qu’elle ne peut l’aimer vraiment en étant dans la peau de Malkovich. Un peu comme un cinéaste, le réalisateur doit contrôler tous les gens de l’équipe, ainsi que les acteurs. Ceux-ci doivent refléter le désir du cinéaste pour que le film soit fait dans son optique, et ceci en faisant des pieds et des mains. Le deuxième élément est le métier de marionnettiste de Craig. On démontre avec subtilité que le marionnettiste est une métaphore du cinéaste ou du metteur en scène de théâtre, quand le metteur en scène fait ce qu’il veut avec le comédien au seul service de l’art, tout autant que le cinéaste. Le dernier élément est l’acteur John Malkovich lui-même, puisque le personnage, tout autant que l’acteur réel, est soumis à la manipulation des autres personnages tout au long du film, et du style de jeu donné par le cinéaste. Lorsque les personnages se retrouvent dans la tête de Malkovich au moyen du portail, ils agissent comme ils veulent, en contrôlant Malkovich en disant un ordre quelconque. Kaufman démontre que les acteurs ne sont que des vaisseaux creux qui doivent se plier au désir fougueux d’un créateur unique qui est le cinéaste ou le scénariste, afin de produire l’œuvre finale, le film.



Maxime Laperle







Contexte



À première vue, il est difficile de classer l’œuvre de Jonze, à travers un contexte de production particulier, toutefois nous pouvons suivre ensemble certains penchants à travers le culte du vedettariat, ainsi que le film qui s’inscrit dans un nouveau mouvement de surréalisme actuel. Quelque part, c’est un film qui voulait raconter une histoire qui est complexe à comprendre, puisque l’on retrouve de multiples références à la psychanalyse (le portail menant à Malkovich). Kaufman, comme producteur exécutif du film, prenait en main, lui-même, tout le financement et les décisions de production, en tenant compte qu’un certain nombre de producteurs hollywoodiens n’aurait pas été emballé de faire son film. Il faut comprendre qu’à Hollywood, malgré que l’on fait du cinéma qui est un art, on ne cherche jamais à faire de l’art. On cherche tout simplement à faire des revenus facilement avec n’importe quel film projeté. De toute évidence, c’est un film qui est beaucoup trop différent pour Hollywood.

Le film expose même d’une façon avant-gardiste, le culte du vedettariat, tout comme le culte du moi qui veut devenir une vedette. Kaufman se sert des désirs cachés des gens afin de devenir populaire et de se faire reconnaître d’une façon folle et fameuse. En principe, on fait une satire des gens opportunistes qui doivent devenir coûte que coûte des célébrités et des personnalités reconnues. Mais en principe, le fait est à remarquer dans son contexte particulier, puisque pour un film réalisé justement en 1999, c’est un film qui parle à sa manière de la télévision de télé-réalité. Alors, on peut dire que le film pose une énorme réflexion sur le contexte particulier des nord-américains, dont certaines personnes se sentent prêts à tout, à vouloir être connu ou reconnu sans aucun mérite valable. Depuis 1999, jusqu’aux années 2000, il y a une effervescence d’émissions de télé-réalité, comme Loft Story, American Idol, et Star Académie, qui veulent concevoir à leur façon la manufacture des vedettes avec quelqu’un d’ordinaire pris sur la rue, comme si de rien n’était. Certains comédiens, tout comme des scénaristes, éprouvent quelquefois une certaine colère et une certaine amertume face à ce vaste mouvement sociologique qui affecte l’Europe, et l’Amérique du Nord. La raison principale est que c’est une « quête » de la gloire qui n’a aucune valeur réelle et qui n’a aucun mérite véritable. On glorifie la superficialité de vouloir connaître la célébrité, lorsqu’au fond, la célébrité pour elle-même, est quelque chose qui n’est d’aucun intérêt réel.

D’un autre côté, en faisant de multiples références à la psychanalyse tout autant que l’autoréflexion, on constate que dans la démarche de son auteur, Kaufman se lance dans une renaissance du surréalisme. Après 1999, il y a une resurgescence du désir de produire du surréalisme au cinéma, et Kaufman tout comme Michel Gondry en France, ne font pas exception à la règle. On peut dire également que c’est un mouvement qui prend forme, et qui se nomme le Nouveau Surréalisme. Adaptation et Being John Malkovich, deux films scénarisés par Kaufman, inscrivent leur auteur dans une nouvelle lignée de surréalisme. Adaptation est une auto-réflexion de Kaufman sur sa vie de scénariste et de ses tribulations lors d’une adaptation d’un livre inadaptable. Michel Gondry, quant à lui, a produit un film qui s’illustre d’une qualité inouï dans son surréalisme, dans le film La Science des Rêves. Ce film écrit et réalisé par Gondry, dresse un portrait d’un jeune homme qui vit énormément dans son imaginaire, et son imaginaire est représenté tel quel à l’écran. Par contre, le film de Gondry ne se classe pas comme un film proprement fantastique, puisque l’univers fantastique est reconnu et devient visible pour tous les personnages du film. Alors on ne sous-entend que cet univers, fantastique pour nous, faisant partie de leur monde véritable à eux, tout comme la série de Peter Jackson, Le Seigneur des Anneaux et le film de Ridley Scott, Legend. Dans le film, La Science des Rêves, ce n’est que le personnage principal qui est capable de percevoir les visions de son propre imaginaire, et non son entourage. C’est pour cela que le surréalisme ne se dissocie jamais de la psychanalyse. Ce qui met à part David Lynch, de Kaufman et de Gondry, est que Lynch a toujours fait son propre surréalisme, dont l’idée qu’il devait toujours produire en marge des studios majeurs, en produisant son cinéma indépendant. Le choix esthétique et formel de David Lynch comme un surréaliste, est une position d’auteur personnel. De plus, Lynch écrit et réalise des films surréalistes vers les années 96 et 98. Mais dans sa filmographie, dans les années 80, il a également fait des films réalistes et classiques allant tendancieusement vers le film noir, par exemple, L’Homme Éléphant, et Blue Velvet.


4.5*/5

M.L

Le 10 février 2011

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