Les « Rednecks », mes bas blancs, Mikey et de la bière Blue Ribbon


En ce Dimanche radieux du Grand Prix du Canada, la Formule 1 ne m’intéressait pas, alors que je me contentais de ne rien faire et de me reposer, tout en prenant la garde du chien noir de mon frère, Mikey. Comme race de chien, il est un dogue massif, aussi puissant que beau, un croisement entre un Pit-bull terrier et un Labrador. Oui, un bâtard comme certains diront, mais sans être de plusieurs races mixtes comme un chien péruvien. Cela change quoi vraiment pour moi ? Mikey est décidément le meilleur chien du monde, et le meilleur chien de mon frère je dirais et que tout le monde adore.

Durant le même jour, je promenais Mikey dans ma routine habituelle. Or, dans la compagnie du chien, mes longues marches, qui pouvaient durer presque deux heures, étaient conçus pour moi, plutôt que pour le chien, puisque je ne ressentais jamais chez lui une quelconque fatigue. Après tout, Mikey était un descendant de deux grandes races, connues pour leur athlétisme, leur intelligence et pour leur sens de l’aventure. Son endurance sera aussi similaire que le mien. Je traversais toute une rue centrale qui m’ouvrait le chemin en direction du Stade Olympique. Oui, le Stade Olympique, vous connaissez ? L’énorme travail d’architecte de Roger Taillibert, qui occupe maintenant la fonction d’un énorme salon des congrès, tout autant que d’un stade de football américain et de soccer. Auparavant, je me souvenais que c’était le Baseball qui régnait jadis en maître. Désormais, bref depuis une décennie, le Baseball n’est plus trop québécois ou Québécois, ou peu importe… Le chien et moi, nous atteignîmes l’avenue Pierre-De-Coubertin. Nous primes la gauche, vers l’est, allant dans la direction même de la station Pie-IX.

Malheureusement pour lui, Mikey semblait nerveux par les voitures défilant dans l’accès à vive allure dû au fait que le trottoir était plutôt étroit et je tenais le chien pareillement en laisse courte, lorsque nous remontions le boulevard Pie-IX. Au dessus de la côte, nous tournions encore à gauche, nous dirigeâmes de nouveau vers l’est. Subitement, une femme dans la cinquantaine, vêtue élégamment pour son âge d’une robe tailleur et d’un large chapeau à rabats, expressément fait pour la saison estivale, tournait le coin. Elle chaussait des mules, assez larges pour devenir des souliers à plateforme. Dans des souliers féminins, aussi incroyablement inconfortables qu’ils puissent être, la dame fit une course à petites enjambées comme un trot inégal. Au fil des secondes, sa démarche ne fit qu’accélérer, donnant l’impression qu’elle ne marchait plus pour avancer, mais qu’elle gambadait en levant suffisamment les genoux. Une démarche songée à la Flashdance, on aurait plutôt dit. Un merveilleux film d’Adrian Lyne qui vaut le détour, ainsi que la location, si vous ne l’avez pas vu. Elle me devança, lorsque le talon droit de sa mule accrocha un coin surélevé du pavé la faisant trébucher sur l’asphalte pour atterrir dans une mauvaise chute le visage premier contre la rue de tout son long.

Mikey devint curieusement fébrile et je lui ordonna de se calmer d’une voix de stentor. Encore étendue de tout son long, je vins calmement vers elle, en tirant sur la chaîne de Mikey pour mieux l’amadouer de sa frénésie.
« Tout va bien, dis-je nonchalamment.
- Oui… Oui, me répondit-elle dans sa hâte de se relever. »
Un passant, plutôt gras et barbu, vêtu pour l’été dans des haillons de l’armée du salut, vint à notre rencontre et balança une platitude qui se voulait sympathique :
« La vie est dure, hein ? »

Elle riait comme seule réaction, tandis que moi, j’ai demeuré silencieux car je n’avais pas vraiment de sottises à lui dire. Eh bien oui, la vie est dure, intolérable même quelquefois. Ça, on le savait déjà, aucunement besoin de se le faire dire à tout moment inopportun. Dans tout cela, nous nous dépêchions de traverser toute cette grande rue. Mickey et moi, nous continuâmes notre chemin sur la rue Sherbrooke prenant notre distance de la dame. Par la suite, j’entendis le bruit de pas frénétique des grandes mules de la dame non loin de moi, voulant encore me devancer. Je la regardais faire.

« Soit que je marche beaucoup trop lentement pour mon âge, ou soit on n’apprend vraiment rien. » : pensais-je. Somme toute, cela restera encore l’une de mes longues marches, jusqu’à mon retour à la maison.



***



L’autre jour, j’ai accueilli à ma manière les festivités de mon voisin d’en face de mon immeuble. Et ce voisin-ci, dont je prénommerai Alex, organisait des grosses surboums pour n’importe quel événement, de la plus grande à la plus faible importance. Le gros événement organisé fut en l’honneur de l’anniversaire de son ami et co-locataire Kevin, et bien sûr, la musique battait son plein. Alex, comme d’habitude, avait probablement perdu le contrôle de sa grosse fête de quartier improvisé, parce qu’il était profondément ivre jusqu’à en perdre la raison. L’alcool coulait à flots, soit dans leurs artères ou dans leur tête, ingurgitant comme des boits-sans-soif, la moindre cannette de bière Pabst Blue Ribbon qui se retrouvait sous leur nez. La musique, étant forte, tonitruait dans tout le quartier et on devait considérer qu’Alex a organisé ses festivités dans l’appartement du deuxième étage, vu que l’immeuble est un triplex. Assis sur mon perron dans le confort d’une chaise longue, je me laissais bercer moi-même au son émanant de l’appartement, que j’entendais parfaitement sans la moindre complication. Principalement, j’entendis l’air de la chanson country de l’auteur-compositeur-interprète Johnny Russell, Rednecks, White socks and Blue Ribbon Beer Une chanson immémoriale pour moi, car à sa façon, elle décrit la vie des bars d’un Québec rural. Force m’était de constater qu’Alex et ses deux co-locs, travaillaient tous ensemble dans le milieu de la construction en prenant quelques contrats. Alex et Kevin furent des ouvriers, alors qu’un autre travaillait simplement comme charpentier.

Finalement, un autre voisin, se trouvant au rez-de chaussée d’un immeuble à gauche du triplex, sortit de sa demeure. Sa conjointe apparente, de la même âge que lui, le talonnait d’un pas furtif vers l’immeuble d’Alex. C’était Éric et sa femme, un couple de septuagénaires, qui étaient néanmoins les propriétaires de l’immeuble d’à côté. Éric, maintenant à la retraite, fut un garde forestier et comme amoureux probable des grands espaces, il avait aimé ce qui touchait le règne de la loi et de l’ordre dans un milieu chaotique, tel que la nature. Surtout, étant un homme de loi particulièrement zélé, il voulait imposer certainement sa vision de la justice sociale sur le quartier, en se démontrant autoritaire sur l’ensemble du voisinage. En particulier, en constatant qu’Éric avait soudainement marre de la musique d’Alex, il décida de monter les escaliers vers son domicile afin de lui aboyer des récriminations.

Je contemplais la scène d’une curiosité aussi malsaine que maladive, comme pour un voyeur incorrigible. Au fond de moi, je ne voulais pas craindre le pire, outre le fait que je connaissais Éric comme un chauviniste imbécile qui voulait imposer son autorité sur l’ensemble de son entourage, à cause de son passé de garde-champêtre. Le quartier avait peur de lui, car on lui craignait de posséder des armes à feu, furent-elles mal entreposées ou non.

Éric culbutait sur les limites propres de sa patience, dans sa course au deuxième étage :

« Hey calvaire de cawlisse, baisse ta musique tout de suite, sinon j’appelle la police estie !
- Okay, Éric calme-toé, fit Alex, essayant de se calmer à son tour. Sans doute, il n’avait pas une grande chimie entre lui-même et Éric. Rentre-donc chez toi, là
- Dis moé donc pas quoi faire, cawlisse ! M’as te crier dessus, si je veux ! M’as te taper dessus si je veux ! riposta Éric. Puis là, baisse ton estie de musique !
- Hey ! C’est mon bloc icitte ! J’ai le droit de faire des partys comme je veux icitte, le bloc y m’appartient ! Compris calice, là retourne donc chez toi ! s’écriait Alex et il en hurlait presque à plein poumons, comme un malade mental. Lui non plus, il ne voulait pas avoir son autorité de propriétaire bafoué.
- Bon, mon bon crétin. J’appelle mes collègues, fit Éric cette fois-ci en douceur et il descendit les marches. »

En retournant à son domicile, la femme d’Éric le suivit à l’intérieur, tandis qu’elle regardait son mari et Alex se disputer sur le perron du deuxième étage. Moi, par contre, je ne voulais pas encore bouger du balcon de ma demeure, voulant connaître la conclusion de cette chicane, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Deux autos-patrouille de la SPVM sont venus dans un délai d’une quinzaine de minutes. Deux agents montèrent au deuxième étage pour voir Alex et discutèrent avec lui. Pour lui-même et le reste du monde, ils lui firent entendre raison. Il baissa la musique de son immense système de son, payé par son salaire de maçon. Cependant, ce fut assez difficile, car maintenant il était ivre noir, tout comme ses co-locs, festoyant encore leur débauche d’alcool, de levure, d’orge et de houblon. Donc, sa raison n’était pas trop forte avec tout l’alcool consommé. Les agents se dirigèrent par la suite vers la demeure d’Éric pour discuter avec lui sans doute. Éric et les agents parlèrent plutôt longuement voir que la discussion avec la police s’éternisait. Cela restait à savoir si Éric ne faisait pas dans le feu du moment, une plaidoirie de Cour afin de rendre Alex coupable de n’importe quoi, ou bien qu’il expliquait sa version des faits. C’est fort probable que ce fut sa version des faits ou bien, il vide son cœur de leur mauvaise relation de voisinage.

Décidément, je regardais dédaigneusement Éric et le cœur me levait. « Éric, si tu détestes tes voisins, rien ne t’empêche de déménager. » : pensais-je en ronchonnant. Par ailleurs, Éric me fixa, regardant au-dessus des épaules des policiers et s’enquit de me pointer de son index droit, ce qui causa une mauvaise réaction de ma part : je lui fis des gros yeux colérique et confus. Les policiers se sont retournés vers moi. Ensuite, j’ai amené nerveusement à mes lèvres, mon shooter de whiskey Johnny Walker, tout en fixant hargneusement Éric. Or, mon regard se détacha de lui pendant quelque temps. Les policiers partirent finalement et Éric me regarda toujours. Je me suis levé, tout en arborant un dernier regard maléfique à son endroit.

Somme toute, j’ai décidé de rentrer chez-moi, repliant ma sale et brune chaise longue dans mon départ et surtout dans ma hâte.

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