Le Conformiste, le film de B.Bertolucci et le roman d'Alberto Moravia






Tout au long de la longue histoire du cinéma, ce fut un art visuel et narratif qui devait rivaliser avec la littérature, et cela se fait toujours aujourd’hui dans ce premier versant du XXIe siècle. La littérature doit en quelque sorte rivaliser avec le cinéma, mais le cinéma rend un profond service aux auteurs en adaptant leurs œuvres au grand écran. On rend populaire et plus accessible l’œuvre d’un auteur à une masse définitivement plus large. Certes une masse qui ne trouve pas toujours le temps de lire, alors une adaptation d’un livre au cinéma fait ressortir la grande synthèse de l’histoire du livre. Alors, un public, inculte en littérature ou analphabète, est capable de comprendre tout du film, s’il est assez attentif. Bien sûr, l’adaptation peut satisfaire un public très large, mais peut quand même décevoir largement son auteur. L’auteur peut être déçu du résultat au grand dam de tout le monde, incluant le cinéaste. Néanmoins, lorsqu’il est question d’adaptation d’un livre en film, il faut tenir compte des limites de ce que le cinéma est capable de faire, en choisissant les œuvres que cet art narratif est capable de rendre à l’écran par l’image et le son. Il y a ce qu’il tient de l’adaptable et de l’inadaptable. En somme, l’inadaptable dans une œuvre littéraire, est quand on ne peut dénuer des éléments d’intrigue, des scènes-clés ou des personnages dans l’œuvre en question.


Mais prenons l’exemple d’un grand roman classique de la littérature italienne, Le Conformiste d’Alberto Moravia. Dans ce roman de Moravia, on décèle toute la pensée abstraite de son auteur en ce qui concerne la philosophie du conformisme. Alors dans le film de Bernardo Bertolucci, Le Conformiste, adapté du roman de l’auteur, on se contente uniquement de l’esthétique individuelle de son cinéaste, en laissant presque de côté l’idée du conformisme identifiée dans le livre. Mais lors de cette adaptation, concernant le film, il faut se poser deux questions : est-ce que le film est parfaitement fidèle au contenu et à l’esprit du livre et est-ce que le film présente lui-même une originalité par rapport à sa forme et son fond ?

Ce que l’on peut témoigner ici, sont des réponses affirmatives, mais nuancés, puisque tout n’est pas noir, tout comme tout n’est pas blanc. Tout ce qui nous reste est une large zone de dégradés de gris. Même lorsque Bertolucci va suivre à la lettre tout le contenu du livre de Moravia, Bertolucci va insuffler au film sa propre esthétique, et non l’esthétique littéraire de Moravia. En fait, Bertolucci en construit lui-même sa lecture du livre de Moravia, afin d’en produire son interprétation. Cette même interprétation peut satisfaire l’auteur du livre ou pas, puisque le cinéaste et le romancier sont les maîtres de deux mondes différents et de ces deux mondes, ils ne peuvent pas avoir à jamais un contrôle absolu sur leur histoire.

Nous éluciderons ensemble dans ce discours qui suit, au sujet du rapport de transformation entre le roman et le film, en analysant la présence de la philosophie du conformisme dans les deux œuvres, ainsi que de l’esthétique individuelle des deux auteurs : Alberto Moravia et Bernardo Bertolucci.



La philosophie du conformisme est ce qui procure au livre de Moravia, son cœur au ventre, tout autant que son identité propre, puisque Moravia n’exprime pas un vif intérêt pour la psychologie de ses personnages. On sent que les personnages n’ont pas une psychologie profonde, puisqu’il choisit de faire des personnages qui détiennent des mœurs vides et superficielles, autre que le personnage de Marcello Clerici.

Dans le livre de Moravia, tout autant que dans le film de Bertolucci, Marcello est le seul personnage qui est complètement développé, et bien « rond ». C’est ce qui fait par la suite qu’il devient un personnage intéressant, pour ainsi suivre son évolution au cours de l’histoire. Nous avons l’impression que Moravia n’a pas su bien développer les autres personnages, afin d’axer toute sa concentration sur Marcello. Si on remarque les autres personnages tels que Julia, la mère de Julia, la mère de Marcello, et son père, on ne ressent aucune importance propre dans toute l’ensemble de leur histoire. De plus que ces mêmes personnages n’ont aucun pouvoir de révélation, concernant Marcello. Ils ne nous décrivent pas eux-mêmes, d’après leurs perceptions, ce qu’ils pensent et ce qu’ils croient de Marcello.

D’une part, c’est ce qui rend les personnages pauvres et mesquins, en comparaison avec Marcello, et pour Moravia, c’est précisément cela son dessein. Moravia veut faire conscientiser à son lecteur, le vide intérieur et la superficialité des personnages de son livre, en étant comme le témoin de cette petitesse d’esprit embourgeoisée de son époque. Quelque part, Bertolucci a restitué dans son film, cette impression de la petitesse d’esprit des petits bourgeois moyens vivant à Rome, mais dans un goût du loufoque.

En conséquence, Marcello devient simplement que la locomotive du récit du livre, mais aussi la figure de proue de la pensée conformiste. Apparemment, dans le livre de Moravia, Marcello veut être quelqu’un d’irréprochablement normal en étant conforme à tout, que ce soit de bonne ou de mauvaise augure. En faisant cela, il ne se sentira pas normal, alors il ne se sentira pas bien ou bon. Selon Marcello, s’il ne sent pas bon ou normal, il se voit et s’estime alors comme une aberration de la nature ou une chose abjecte. Comme lecteur et spectateur, on suit le personnage principal dans son aventure intérieur jusqu’à ce que l’on voie les causes probables de son manque d’assurance par rapport à son manque de normalité.

Dans le livre de Moravia, il existe deux raisons auxquelles Marcello fait lui-même l’examen de conscience de son manque de normalité : la première est son homosexualité latente qui se démontre par un événement majeur, la deuxième est la présence de son père entourant son enfance jusqu’à l’âge adulte. Dans le livre de Moravia, l’homosexualité de Marcello paraît très évidente, et se dévoile par la rencontre de lui-même, en étant enfant, avec Lino, un chauffeur privé de voiture pour un maître bourgeois. Au début, Marcello, dans toute sa conscience et sa candeur infantiles, ne se doute pas des intentions pédophiliques de Lino, pendant qu’il escorte le jeune Marcello jusque chez-lui. Marcello abat Lino copieusement avec le revolver à brûle-pourpoint dans la chambre, lorsque Lino le forçait à rentrer dans celle-ci. Il l’abat en auto-défense. En soi, dans le film comme le roman, Marcello est enjoué de la présence d’une figure d’un grand jeune homme éphèbe, et il ne devient pas révulsé. Par contre, il veut utiliser Lino à ses propres fins, puisque Lino détient en sa possession un revolver. Marcello veut saisir son revolver afin d’accomplir un désir aussi dangereux que bête, de se faire respecter de ses camarades d’école après une mésaventure.

La deuxième raison est son propre père. Selon Marcello, son père est devenu fou à la suite d’une syphilis. Marcello a peur de devenir aussi fou que son père, et cela devient une autre raison pour vouloir se conformer. Maintenant, il faut savoir comment Bertolucci a été capable de restituer la philosophie du conformisme, ce qui fait l’essence de l’esprit du livre de Moravia.

Bien sûr, Bertolucci dans sa propre adaptation du livre, tout ce qu’il peut faire est une audio-visualisation du livre comme un cas classique, mais le film de Bertolucci est un film complètement classique dans son esthétique principal. Dans le film, rien ne devient stagnant et tout détient une force continue à travers celui-ci, sans avoir de temps morts. Par contre, dans cette audio-visualisation du livre de Moravia, Bertolucci ne peut transposer à l’écran la philosophie du conformisme issu du livre qui provient de l’intériorité de Marcello, au moyen du narrateur classique et omniscient.

À la place, Bertolucci utilise une allégorie de Platon, qui est sa fameuse allégorie de la caverne ce qui n’est pas contenu dans le roman de Moravia. Bertolucci utilise ce mythe philosophique, qui se nomme communément la Caverne de Platon, puisque c’est un mythe visuel. C’est un mythe qui peut être traduit visuellement, étant donné que le cinéma est un art fondamentalement visuel et sonore. En soi, c’est aussi à travers de l’allégorie de la caverne, que le professeur Luca Quadri va expliquer à Marcello de tout le châtiment des citoyens romains qui vivent sous l’empire du fascisme. L’histoire de l’allégorie de la caverne va comme suit : des hommes et des femmes sont enchaînés dans une immense caverne et cela depuis leur enfance jusqu’à leur mort. Ils contemplent devant eux un immense mur de la caverne où il ne voit que des ombres produite par un feu, à l’étage surélevé de la grotte. Sur cet immense mur, ils ne voient que des ombres qui sont faites par des personnes passant devant le feu, et ces personnes se trouvent à l’extérieur de la caverne. Les gens qui se trouvent enchaînés, croient que les ombres sur les murs sont la réalité propre. Ce qui se retrouve à l’extérieur de cette caverne, est le monde des idées, le monde idéaliste.

Dans le film, une scène avec Quadri et Marcello, Bertolucci veut reconstituer l’allégorie de la caverne dans le bureau du professeur. On utilise la lumière naturelle de la grande fenêtre de l’extérieur dont le faisceau éclaire Marcello, en y laissant une grand ombre derrière. Ce n’est que par la suite que Quadri insinuera à Marcello que les fascistes mussoliniens vivant encore à Rome, sont largement comme les mêmes victimes dans la caverne à contempler des réalités qui ne sont en fait que des ombres et des illusions. Par la suite, Quadri ouvre la lumière dans la pièce de son bureau. Toute la lumière avec le rayon de la fenêtre ouverte fait dissiper l’ombre de Marcello sur le mur, ce qui symbolise l’illumination platonicienne.

Cependant, pour Bertolucci lui-même, l’allégorie de la caverne avait un autre sens comme une métaphore du cinéma. On voit sur un grand écran la grande image de la pellicule de film projetée par une lanterne puissante, avec une centaine de personnes dans l’obscurité d’une grande salle. L’image de cinéma produit les mêmes ombres de la réalité, en n’étant pas la réalité.

En somme, le personnage de Marcello est riche et complexe et contient plusieurs couches, le reliant à sa propre philosophie du conformisme. Bertolucci utilise le mythe de la caverne de Platon, puisqu’il ne peut pas rendre visuel et concret la pensée abstraite de Moravia, contenue dans son livre.





L’œuvre Le Conformiste, de par son seul contenu est consistant, original et singulier, et n’oublions pas que le contenu du livre vient uniquement de l’imagination du romancier Alberto Moravia. C’est en quelque sorte Moravia qui possède le crédit d’avoir créer l’histoire, et non Bertolucci. En soi, ce qui fait l’originalité d’Alberto Moravia, comme romancier, est sa capacité d’invention afin de confectionner comme un artisan, des histoires percutantes, et de bien conter cette histoire dans un style non moins percutant. Car bien sûr, il existe des très bonnes histoires, mais qui malheureusement sont contés d’une manière très fade et sans aucun enthousiasme et aucun zeste.

En littérature, il faut toujours faire sentir au lecteur que l’auteur exprime un vif intérêt à raconter cette histoire, à travers sa narration. Il ne devient pas indifférent ou indolent face à son histoire qu’il veut raconter. Cela se fait savoir tout de suite, si une bonne histoire est racontée d’une manière complètement fichue et désorganisée, et le résultat se fait également moins appréciable. Dans l’esthétique individuelle de Moravia, il se campe dans une esthétique réaliste, mais le roman est quand même très ouvert. Il n’y a pas une trop grande précision, puisque le livre n’abonde pas en descriptions foisonnantes et minutieuses d’un lieu, d’une personne et d’un objet, comme le fait Zola, Balzac et Flaubert. On peut dire que le roman contient des itinéraires qui sont du quotidien, en ne devenant pas onirique, comme le milieu du rêve. Ce qui en fait notamment un roman ouvert, est que cela laisse quand même une grande marche de manœuvre à Bertolucci, afin de créer tout l’environnement des décors du film. Par contre, il garde quand même une esthétique réaliste, tout en embellissant son film d’une poésie qui lui est propre.

Ce qui est surprenant est que le roman de Moravia traite le sujet du fascisme mussolinien, sans aller dans les grands détails historiques. Le livre détient la caractéristique de ne pas être très recherché et documenté pour son histoire, mais agit quand même comme un témoin de son époque. Tout ce que l’on connaît comme lecteur, est la période de l’Italie fasciste dans laquelle évolue Marcello, de l’enfance à l’âge adulte. En ce qui attrait du contenu global du livre, en faisant abstraction de la philosophie de Moravia, il se pourrait que l’auteur se soit inspiré d’un fait divers, ainsi que des événements réels durant la vie de l’auteur. On dit ceci puisque l’auteur, en tant que lui-même Italien, devait avoir des bagages culturels, ainsi que des connaissances encyclopédiques le reliant à la pensée et au pouvoir politique dominants. Tout ce qui se trame dans le roman paraît probable, sans avoir une rigueur documentaire et historique. C’est ce qui laisse la caractéristique du livre qui devient un roman ouvert.

Maintenant, en second point, passons à l’esthétique du film de Bertolucci qui agit comme une interprétation du livre de Moravia. Le film est en quelque sorte une lecture personnelle de Bertolucci, du fameux livre de Moravia. On ne peut nier le fait que le film se démarque d’un style poétique singulier. Ce style poétique est ce qui procure également un classicisme singulier, puisque tout ce qui se rapporte à son thème majeur : le conformisme, se traduit dans le film en des métaphores visuels et des symboles, incluant l’allégorie de la caverne. L’évidence de l’esthétique individuelle de Bertolucci se démarque par un goût du surréalisme qui se marie très bien avec un autre goût, celui de la flamboyance et de l’excentricité. Cela se traduit également à travers la merveilleuse cinématographie de Vittorio Strotaro. D’un autre côté, le goût de l’extravagance que Bertolucci accorde grandement à ses films, fait également penser à l’univers de Federico Fellini. Cependant, Federico Fellini n’exprime pas toujours l’envie favorable de produire des films de gangsters ou des films à charge politique. D’une certaine façon, c’est ce qui redonne l’intérêt, afin d’analyser le film de plus près, puisque l’on se demande comment Bertolucci est capable de rendre poétique et ludique un univers aussi sérieux qu’un attentat politique. En disant que le film est parsemé de symboles, cela devient vite dit, puisque tout événement et tout personnage portent un degré de signification. Le plus flagrant est le personnage d’Italo, interprété par José Quaglio, qui est un fasciste mussolinien. Il est aveugle, ce qui révèle d’une part la satire mordante de Bertolucci envers le fascisme italien.

D’un autre côté, Italo n’est pas un personnage qui provient du livre de Moravia. Le métier d’Italo renvoie à ce qu’il est un apologiste du fascisme, en faisant des émissions élogieuses à la radio, glorifiant la sainte mission de Mussolini sur tout le territoire. Italo, dans le film, est quelqu’un qui a une relation étroite avec Marcello, sans être un compagnon extrêmement proche. Par la suite, à la scène d’une festivité, on voit Italo qui célèbre l’annonce du mariage de Marcello, avec un groupe d’aveugles dans un sous-sol.

Les aveugles, ainsi que l’emplacement du sous-sol où se déroule la fête deviennent symboliques, connotant les conséquences du fascisme. Pour convenir du fait que nous sommes dans un sous-sol, et que nous voyons des fenêtres qui ouvrent sur le trottoir des rues, et nous voyons seulement passer les pieds des passants. Les aveugles se déplacent dans un environnement riche en couleurs où l’on voit des lanternes chinoises suspendues, ce qui fait un contraste étrange, mais qui souligne également les dangers moraux du fascisme. Soulignons qu’il ne faut pas oublier que les aveugles incarnent des fascistes mussoliniens, ils sont dans le sous-sol puisqu’ils sont encore dans le noir, et ils sont aveugles alors ils ne peuvent avoir la lumière de la connaissance et de la raison. Afin de donner un dernier exemple d’une référence au conformisme, il y a les trois chanteuses au début du film qui chantent dans un studio de radio. Les trois chantent en harmonie, elles sont habillées identiques, tout autant qu’elles sont coiffées de la même manière. Bertolucci veut faire comprendre au spectateur d’une manière subtile, non pas toute l’emprise de Mussolini régnant sur l’Italie, mais les aspirations positives de Marcello d’être semblable à tout et chacun. Selon Bertolucci, le conformisme pour Marcello veut dire être en parfaite harmonie avec les autres, en parfaite équilibre avec les autres, tout autant qu’avec lui-même.

L’esthétique de Bertolucci se démarque également pour un goût esthétique pour la beauté sculpturale des actrices, tels que les actrices Dominique Sanda et Stefania Sandrelli. En faisant cela, on veut rehausser le prestige du film à un plus large éventail en rendant le film plus attirant pour tout le monde, et on attire les gens pour le succès au box-office à l’aide du vedettariat italien et français de l’époque. C’est ce qui fait parfaitement le contraste avec le livre de Moravia, parce que les personnages féminins ne sont pas longuement décrits dans leur portrait physique, et tout ce que l’on comprend c’est qu’elles peuvent avoir une beauté fade ou informe. Alors, on doit se faire une idée de ce qu’aurait l’air les personnages féminins, lors du roman. Durant les années 70, Godard et Bertolucci se donnaient eux-mêmes la tâche ou le plaisir de mettre des grandes actrices dans les rôles principaux et secondaires, qui furent d’une beauté aphrodisiaque et sculpturale, tels que Brigitte Bardot, Claudia Cardinale, etc. Durant cette même époque, les cinéastes comme Godard, Truffaut, et Bertolucci avaient naturellement cette aspiration de faire du beau cinéma, tout comme le cinéma hollywoodien. C’est pour l’une de ces raisons que son film fut acheté et diffusé par le grand studio hollywoodien de la Paramount.

Tout autant que l’esthétique poétique, il y a un certain esprit baroque qui s’en dégage, puisque, tout comme Fellini, il existe une surenchère dramatique tout autant que d’une surenchère pour le ridicule, en traitant de certaines scènes. C’est ce large côté baroque chez Bertolucci, qui va rendre à son film, une certaine beauté opératique. Il existe des exemples du film qui illustrent assez bien cette surenchère du dramatique au ridicule. L’actrice Dominique Sanda apparaît trois fois dans deux rôles différents, en étant légèrement déguisée par les costumes et les accessoires. Sanda incarne à la fois, une prostituée frivole de bordel et une secrétaire aguichante sur le bureau d’un ministre fasciste. Bertolucci propose tout le sentiment de luxure refoulé par Marcello dans les apparitions récurrentes à peine méconnaissable de Sanda dans la peau de plusieurs personnages, ainsi que Lina, la femme de Quadri. Elle incarne tous les désirs secrets dont se privent Marcello afin que celui-ci puisse vivre son vœu cher de conformisme, tel un vœu de chasteté. Alors, en suivant cette réflexion, Bertolucci nous propose que Marcello arrive à peine à se conformer à sa propre vie de marié, et cède souvent la place à la luxure. On prouve que le mariage, tout autant que sa quête pour le conformisme, est vécu sans passion et sans amour. Dans une surenchère du ridicule, il y a la fameuse scène de la farandole, où Marcello se retrouve au beau milieu d’une mêlée de danseurs qui tournoient autour de lui, et Marcello se retrouve au centre comme l’œil d’un ouragan. Pour Bertolucci, le côté baroque de cette scène illustre d’une façon ludique l’incapacité de Marcello à se conformer totalement, puisque Bertolucci met l’accent sur le conformisme total et absolu qui est évidemment impossible. Se conformer dans le sens que lui donne Marcello, dans le but de plaire à tout le monde, que tout le monde doit être content de ce qu’il fait sans ménagement. N’importe quel imbécile veut plaire à tout le monde inconditionnellement, mais n’importe qui raisonnablement intelligent, sait que cela est pratiquement impossible. À la place, on doit s’épanouir comme individu, en se fichant carrément de plaire aux gens alentour. La seule personne que l’on doit plaire, est à nous-mêmes, rien de plus. Comme le proverbe : « Dites-moi où vous hantez et je dirai qui vous êtes », si Marcello est fasciste en Italie, il ne sera pas conforme à des valeurs de liberté dans les yeux du reste du monde à l’extérieur de l’Italie. Le reste du monde n’exprimait pas une grande sympathie pour le fascisme italien de l’époque, tout autant que ses partisans. Marcello fait l’assentiment d’une façon simpliste que le fascisme est bon pour tout le monde, que le fascisme a une valeur universelle. Afin de souligner un dernier exemple du Baroque de Bertolucci, il y a la scène de l’assassinat de Quadri, le professeur de Marcello dans une forêt large, en plein hiver. L’assassinant contient une consistance de l’opéra, et elle se fait dans une surenchère exagérée, puisque son meurtre se fait par de multiples gangsters qui l’encerclent, et ceux-ci, un à un, se rapprochent de lui afin de le poignarder dans le corps. Le ton shakespearien de la mort, est presque celui de la mort de Jules César. Lina court à la voiture de Marcello, dans un regard implorant l’aide, elle reconnaît Marcello assis à la banquette arrière cachant son arme dans son manteau. En reconnaissant Marcello, elle frappe la fenêtre de la portière. On voit par la suite, le visage de Lina se tordre et se convulser de vengeance, de peine et dépit, en se remémorant que Marcello est fasciste, puisqu’elle conscientise qu’il est l’auteur de l’assassinat. Le meurtre de Lina, par la suite, est poétique et brutal dans la forêt hivernale. En soi, Bertolucci se démarque largement et profondément dans son style baroque et poétique, ce qui donne profondément au spectateur une forte idée de l’esthétique individuelle de son auteur. En conclusion, l’œuvre première du livre de Moravia est l’histoire originale qui se lit comme un roman ouvert, mais avec les caractéristiques du roman classique. L’esthétique individuelle de Bertolucci, est l’interprétation du livre de Moravia, à travers un style poétique et une beauté opératique.





Le Conformiste, le roman de Moravia, tout comme le film de Bertolucci, sont foisonnants de leur génie propre au milieu de leur art respectif, que ce soit la littérature ou le cinéma. Ce sont des œuvres qui ont apporté beaucoup que ce soit pour l’histoire politique, ou la psychologie de la masse et de l’individu. L’œuvre littéraire de Moravia renferme une grande richesse philosophique qui peut être lu seulement par un lecteur, et non par un spectateur. Le spectateur devait comprendre sous une autre lumière cette richesse philosophique, à travers les schèmes visuels de Bertolucci. L’esthétique individuelle se démarque également de l’écrivain et du cinéaste, puisque le cinéaste, qui étant toujours fidèle à l’esprit et au contenu du roman, a su apporter à son propre film un style opératique et baroque. Tout ce qui est issu de la fidélité et de l’originalité dans le film en rapport au livre, est accompli magistralement. Maintenant, poursuivons l’ensemble de notre réflexion au sujet des adaptations, sur le film West Side Story, une grande comédie musicale hollywoodienne réalisé par Robert Wise et Jeremie Robbins. Lorsque l’on comprend l’histoire du film, on sait tout de suite que c’est une autre variante de l’histoire de Roméo et Juliet de W. Shakespeare. Mais dans cette autre adaptation de cette pièce de Shakespeare, qui n’est pas fait évidemment avec le même texte d’origine, est-ce que le film perd substantiellement de son originalité en recyclant une vieille idée, répétée inlassablement ? Si c’est la même histoire originelle de Shakespeare, il faudrait se questionner à ce que le film apporte de plus à sa propre originalité dans son interprétation de la pièce, et l’esthétique individuelle du réalisateur, qui n’a pas écrit forcément le scénario de son film.





BIBLIOGRAPHIE






1. DEVEAUX, Frédérique, « Le mythe de la caverne dans Le Conformiste de Bertolucci » dans Philosophie et Cinéma Cinémaction (dir. Max Méjean), Paris, France, Colet, No 94, 1er Trimestre, 2000, pp. 175 - 184

2. KAEL, Pauline, Deeper into Movies, Boston. Toronto, Coll. Atlantic Monthly Press, Éd. Little Brown and Company, 1971, 458 p.

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5. MORAVIA, Alberto, Le conformiste, Milan, Italy, Éditions Bompiani, 1951, 392 p.




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